Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/125

Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

maltraité par son vizir, implora la protection de cet Abdala même ; le vizir, indigné, mit en prison son maître, et bientôt après lui fit couper la tête. Cette dernière catastrophe arriva peu d’années après. Nos mémoires, qui s’accordent sur le fond, se contredisent sur les dates ; mais qu’importe pour nous en quel mois, en quelle année on ait tué dans l’Inde un Mogol efféminé, tandis qu’on assassinait tant de souverains en Europe !

Cet amas de crimes et de malheurs, qui se suivent sans interruption, dégoûte enfin le lecteur : leur nombre et l’éloignement des lieux diminuent la pitié que ces calamités inspirent.


ARTICLE X.


DESCRIPTION SOMMAIRE DES CÔTES DE LA PRESQU’ÎLE OÙ LES FRANÇAIS ET LES ANGLAIS ONT COMMERCÉ ET FAIT LA GUERRE.


Après avoir fait voir quels étaient les empereurs, les grands, les peuples, les soldats, les prêtres, avec qui le général Lally avait à combattre et à négocier, il faut montrer en quel état se trouvait la fortune des Anglais, auxquels on l’opposait, et commencer par donner quelque idée des établissements formés par tant de nations d’Europe sur les côtes occidentales et orientales de l’Inde.

Il est désagréable de ne point mettre ici une carte géographique sous les yeux du lecteur : nous n’en avons ni le temps ni la facilité ; mais quiconque voudra lire avec fruit ces mémoires pourra aisément en consulter une. S’il n’en a point, qu’il se figure toutes les côtes de la presqu’île de l’Inde couvertes d’établissements de marchands d’Europe, fondés par les concessions des naturels du pays, ou les armes à la main. Commencez par le nord-ouest. Vous trouvez d’abord sur la côte la presqu’île de Cambaie, où l’on a prétendu que les hommes vivaient communément deux cents années. Si cela était, elle aurait cette eau d’immortalité qui a fait le sujet des romans de l’Asie, ou cette fontaine de Jouvence connue dans les romans de l’Europe. Les Portugais y ont conserve Diu ou Diou, une de leurs anciennes conquêtes.

Au fond du golfe de Cambaie est Surate, ville immédiatement gouvernée par le Grand Mogol, dans laquelle toutes les nations commerçantes de la terre avaient des comptoirs, et surtout les Arméniens, qui sont les facteurs de la Turquie, de la Perse et de l’Inde.