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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

péans tramait au combat ou dissipait des armées de Gentous. Ces soldats de Visapour, d’Arcate, de Tanjaour, de Golconde, d’Orixa, du Bengale, depuis le cap de Comorin jusqu’au promontoire des Palmiers et à l’embouchure du Gange, sont de mauvais soldats sans doute : point de discipline militaire, point de patience dans les travaux, nul attachement à leurs chefs, uniquement occupés de leur paye, qui est toujours fort au-dessus du salaire des laboureurs et des ouvriers, par un usage directement contraire à celui de toute l’Europe. Ni eux, ni leurs officiers, ne s’inquiètent jamais de l’intérêt du prince qu’ils servent : ils s’inquiètent seulement de la caisse de son trésorier. Mais enfin Indiens contre Indiens vont aux coups, et leur force ou leur faiblesse est égale ; leurs corps, qui soutiennent rarement la fatigue, affrontent la mort. Les cailles se combattent et se tuent aussi bien que les dogues.

Il faut excepter de ces faibles troupes les montagnards, appelés Marattes, qui tiennent un peu plus de la constitution robuste de tous les habitants des lieux escarpés. Ils ont plus de dureté, plus de courage, et plus d’amour de la liberté, que les habitants de la plaine. Ces Marattes sont précisément ce que furent les Suisses dans les guerres de Charles VIII et de Louis XII : quiconque les pouvait soudoyer était sûr de la victoire, et on payait chèrement leurs services. Ils se choisissent un chef auquel ils n’obéissent que pendant la guerre, et encore lui obéissent-ils très-mal : les Européans ont appelé roi ce capitaine de brigands, tant on prodigue ce nom. On les vit armés tantôt pour les empereurs, et tantôt contre eux. Ils ont servi tour à tour nabab contre nabab, et Français contre Anglais.

Au reste, on ne doit pas croire que ces Gentous marattes, quoique de la religion des brames, en observent les rites rigoureux : eux et presque tous les soldats mangent de la viande et du poisson ; ils boivent même des liqueurs fortes quand ils en trouvent. On accommode par tout pays sa religion avec ses passions.

Ces Marattes empêchèrent Abdala de conquérir l’Inde. Il aurait été sans eux un Tamerlan, un Alexandre ! Nous venons de voir le petit-fils de Mahmoud livré à la mort par un de ses sujets. Son successeur Alumgir éprouva les mêmes révolutions dans une courte vie, et finit par le même sort. Les Marattes déclarés contre lui entrèrent dans Delhi, et la saccagèrent pendant sept jours. Abdala revint encore augmenter la confusion et le désastre en 1757. L’empereur Alumgir, tombé en démence, gouverné et