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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

cette contrée qui, depuis Goa jusqu’au cap Comorin, est un jardin de délices, habitée alors par un peuple pacifique et innocent, incapable également de nuire et de se défendre. Ils franchirent les montagnes qui séparent la région de Coromandel de celle du Malabar, et qui sont la cause des moussons. C’est cette chaîne de montagnes habitées aujourd’hui par les Marattes.

Ces Arabes allèrent bientôt jusqu’à Delhi, donnèrent une race de souverains à une grande partie de l’Inde. Cette race fut subjuguée par Tamerlan, ainsi que les naturels du pays. On croit qu’une partie de ces anciens Arabes s’établit alors dans la province du Candahar, et fut confondue avec les Tartares. Ce Candahar est l’ancien pays que les Grecs nommaient Paropamise, n’ayant jamais appelé aucun peuple par son nom. C’est par là qu’Alexandre entra dans l’Inde. Les Orientaux prétendent qu’il fonda la ville de Candahar ; ils disent que c’est une abréviation d’Alexandre, qu’ils ont appelé Iscandar. Nous observerons toujours[1] que cet homme unique fonda plus de villes en sept ou huit ans que les autres conquérants n’en ont détruit ; qu’il courait cependant de conquête en conquête, et qu’il était jeune.

C’est aussi par Candahar que passa de nos jours ce Nadir, berger natif de Corassan, devenu roi de Perse, lorsque, ayant ravagé sa patrie, il vint ravager le nord de l’Inde.

Ces Arabes dont nous parlons, aujourd’hui sont connus sous le nom de Patanes, parce qu’ils fondèrent la ville de Patna vers le Bengale.

Nos marchands d’Europe, très-mal instruits, appelèrent indistinctement Maures tous ces peuples mahométans. Cette méprise vient de ce que les premiers que nous avions autrefois connus étaient ceux qui vinrent de Mauritanie conquérir l’Espagne, une partie des provinces méridionales de France, et quelques contrées de l’Italie. Presque tous les peuples, depuis la Chine jusqu’à Rome, victorieux et vaincus, voleurs et volés, se sont mêlés ensemble.

Nous appelons Gentous les vrais Indiens, de l’ancien mot Gentils, Gentes, dont les premiers chrétiens désignaient le reste de l’univers qui n’était pas de leur religion secrète. C’est ainsi que tous les noms et toutes les choses ont toujours changé[2]. Les mœurs des conquérants ont changé de même : le climat de l’Inde les a presque tous énervés.

  1. Voltaire l’avait déjà dit tome XII, page 360 ; XVII, 107 ; XXVII, 250.
  2. Voyez tome XV, page 445.