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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

ments, et que tous les bénéfices ecclésiastiques sont leur domaine. Cette même erreur, préjudiciable au genre humain, a été cent fois répétée sur le gouvernement turc, et a été puisée dans la même source. On a confondu des timares et des zaïms, bénéfices militaires donnés et repris par le Grand Seigneur, avec les biens de patrimoine. C’est assez qu’un moine grec l’ait dit le premier pour que cent écrivains l’aient répété.

Dans notre désir sincère de trouver la vérité et d’être un peu utile, nous avons cru ne pouvoir mieux faire, pour constater l’état présent de l’Inde, que de nous en rapporter à M. Holwell[1], qui a demeuré si longtemps dans le Bengale, et qui a non-seulement possédé la langue du pays, mais encore celle des anciens brames ; de consulter M. Dow[2], qui a écrit les révolutions dont il a été témoin ; et surtout d’en croire ce brave officier, M. Scrafton, qui joint l’amour des lettres à la franchise, et qui a tant servi aux conquêtes du lord Clive. Voici les propres paroles de ce digne citoyen : elles sont décisives.

« Je vois avec surprise tant d’auteurs assurer que les possessions des terres ne sont point héréditaires dans ce pays, et que l’empereur est l’héritier universel. Il est vrai qu’il n’y a point d’actes de parlement dans l’Inde, point de pouvoir intermédiaire qui retienne légalement l’autorité impériale dans ses limites ; mais l’usage consacré et invariable de tous les tribunaux est que chacun hérite de ses pères. Cette loi non écrite est plus constamment observée qu’en aucun État monarchique. »

Osons ajouter que si les peuples étaient esclaves d’un seul homme (ce qu’on a prétendu, et ce qui est impossible), la terre du Mogol aurait été bientôt déserte. On y compte environ cent dix millions d’habitants. Les esclaves ne peuplent point ainsi. Voyez la Pologne : les cultivateurs, la plupart des bourgeois, y ont été jusqu’ici serfs de glèbe, esclaves des nobles ; aussi il y a tel noble dont la terre est entièrement dépeuplée.

Il faut distinguer dans le Mogol le peuple conquérant et le peuple soumis, encore plus qu’on ne distingue les Tartares et les Chinois : car les Tartares qui ont conquis l’Inde jusqu’aux confins des royaumes d’Ava et du Pégu ont conservé la religion musulmane, au lieu que les autres Tartares qui ont subjugué la Chine ont adopté les lois et les mœurs des Chinois.

  1. Auteur des Événements historiques intéressants relatifs aux provinces de Bengale et à l’empire de l’Indostan, 1768.
  2. Auteur d’une Histoire de l’Hindoustan. 1770-1772.