Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
100
FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

Les retardements qu’on éprouve toujours dans les plus petites entreprises, comme dans les grandes, ne permirent pas que l’escadre du comte d’Aché, qui devait porter le général et les secours à Pondichéry, mît à la voile du port de Brest avant le 20 février 1757.

Au lieu de trois millions que M. de Séchelles, contrôleur général des finances, avait promis, M. de Moras, son successeur, n’en put donner que deux ; et c’était beaucoup dans la crise où était alors la France.

De trois mille hommes qui devaient s’embarquer avec lui, on fut obligé d’en retrancher plus de mille ; et le comte d’Aché n’eut dans son escadre que deux vaisseaux de guerre au lieu de trois, et quelques vaisseaux de la compagnie des Indes.

Tandis que les deux généraux Lally et d’Aché voguent vers le lieu de leur destination, il est nécessaire de faire connaître aux lecteurs qui veulent s’instruire l’état de l’Inde dans cette conjoncture, et quelles étaient les possessions des nations de l’Europe dans ces contrées.


ARTICLE V.


ÉTAT DE L’INDE LORSQUE LE GÉNÉRAL LALLY Y FUT ENVOYÉ.


Ce vaste pays, au deçà et au delà du Gange, contient quarante degrés en latitude des îles Maldives aux limites de Cachemire et de la Grande-Boukharie, et quatre-vingt-dix degrés en longitude des confins du Sablestan à ceux de la Chine : ce qui compose des États dont l’étendue entière surpasse dix fois celle de la France, et trente fois celle de l’Angleterre proprement dite. Mais cette Angleterre, qui domine aujourd’hui dans tout le Bengale, qui étend ses possessions en Amérique, du quatorzième degré jusque par delà le cercle polaire, qui a produit Locke et Newton, et enfin qui a conservé les avantages de la liberté avec ceux de la royauté, est, malgré tous ses abus, aussi supérieure aux peuples de l’Inde que la Grèce fut supérieure à la Perse du temps de Miltiade, d’Aristide, et d’Alexandre. La partie sur laquelle le Grand Mogol règne, ou plutôt semble régner, est sans contredit la plus grande, la plus peuplée, la plus fertile et la plus riche. C’est dans la presqu’île en deçà du Gange que les Français et les Anglais se disputaient des épices, des mousselines, des toiles peintes, des parfums, des diamants, des perles, et qu’ils avaient osé faire la guerre aux souverains.