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DE CLAUSTRE.

Il s’accoutuma si bien à mêler le spirituel au temporel qu’il fit dès lors le projet de retirer des dangers du monde le jeune Laborde Desmartres, qui passait pour devoir un jour posséder des millions, et qui, par la simplicité de son caractère, était en péril de son salut. Il était alors à Paris dans la propre maison de son oncle avec ses cousins. Sa mère était morte, son père s’était remarié. Le jeune homme était majeur. Voilà une belle occasion de secourir le jeune Pierre-Joseph Desmartres contre une belle-mère et contre les illusions de la fortune et des plaisirs.

Quoique les abbayes fussent très-analogues à l’état et au goût de Claustre, il crut encore plus analogue de devenir le maître de tout le bien de ce facile Desmartres. C’était lui qui avait fourni un précepteur ; il lui fournit bientôt un procureur. Voici comme il s’y prit.

D’abord, après deux petits stellionats faits au sieur Jean-François de Laborde, son bienfaiteur[1], il feint, en 1762, de se retirer à la Doctrine chrétienne ; mais auparavant il avait jeté dans le cœur de Desmartres les soupçons d’avoir été lésé par son père et par son oncle. Ces soupçons étaient fortifiés par le procureur qui s’était joint à lui.

Quand il vit enfin toutes ses batteries préparées, il écrivit, le 8 septembre 1762, à la dame de Laborde, femme du sieur Jean-François, fermier général : « La religion m’a principalement déterminé à cette retraite. Notre état n’est pas de vivre dans le monde : et quand l’utilité du prochain ne nous retient plus, je crois que nous ne devons pas y rester. Un prêtre n’est pas fait pour avoir toujours ses aises (il entend les prêtres sans bénéfice) : une vie sobre, dure, doit être son partage s’il veut entrer dans l’esprit de son état. Je vais vivre dans une société de bons prêtres ; tous mes vœux vont se tourner du côté de l’éternité. »

En se tournant vers l’éternité, il ne laissait pas de se tourner depuis longtemps vers Clermont en Auvergne, où demeurait mademoiselle sa nièce, fille d’un pauvre imprimeur nommé Boutaudon. Il fait venir à Paris Mlle  Boutaudon, âgée alors de trente-quatre ans[2]. Il la recommande d’abord aux charités et à la protection de tous les parents et de tous les amis du sieur de Laborde. Comme la nièce ne pouvait pas demeurer à la Doctrine chrétienne, il en sort pour aller loger avec elle dans l’île Saint-

  1. Ils sont prouvés dans le Mémoire de MM.  les avocats L’Herminier, Cellier, et Tronchet. (Note de Voltaire.)
  2. Marie-Françoise Boutaudon était née à Clermont-Ferrand le 4 juillet 1732.