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DE CLAUSTRE.

Jean-François de Laborde servait de père à ses deux frères et à sa sœur : il était leur conseil, ainsi que celui de tous ses amis. Ses lumières et sa probité lui avaient acquis cette considération personnelle et cette autorité que donne la vertu ; tous ceux qui l’ont connu rendent ce témoignage à sa mémoire.

Non-seulement il veilla avec la plus scrupuleuse attention sur l’éducation de tous ses enfants, mais il étendit les mêmes soins sur ceux de son frère, Pierre-Joseph Desmartres, marié en 1725 à une Hollandaise catholique, nommée Ditgens, parente du célèbre Van Svieten, qui a été depuis premier médecin de l’impératrice-reine de Hongrie[1]. C’était une riche héritière qui aurait environ trois millions de bien si ses parents, très-patriotiques, avaient laissé une si grande succession sortir du pays.

Jean-François de Laborde eut la consolation de voir tous ses soins paternels réussir. Tous ses enfants se signalèrent dans le monde par des talents distingués, et eurent le bonheur de plaire.

Il n’y eut que Pierre-Joseph[2] Desmartres, son neveu, qui ne put répondre à ses empressements. Cet enfant était né avec une faiblesse d’organes qui le mit longtemps hors d’état de recevoir l’éducation ordinaire, laquelle exige une santé ferme dont dépend la faculté de s’expliquer et de concevoir. On fut obligé de le confier quelques années à sa nourrice, femme de bon sens et expérimentée qui connaissait son tempérament. Lorsqu’il fut un peu fortifié, son père le mit entre les mains d’un maître de pension très-intelligent, et accoutumé à diriger des enfants tardifs.

La nature n’ayant pas secondé les attentions de cet instituteur, son père Desmartres le retira chez lui à sa terre de Palerne en Auvergne. Ensuite sa tante, la dame de La Flachère, qui n’avait point d’enfants, s’en chargea comme de son fils, et le garda trois ans, tantôt à sa terre de la Flachère, tantôt à Lyon. On lui donna un précepteur qui avait 600 livres d’appointements, et auquel on assura 300 livres de pension viagère. C’est ce même enfant, ce Pierre-Joseph de Laborde Desmartres dont l’abbé Claustre s’est emparé, et qui fait le sujet du procès.

Pendant que ses parents tâchaient de lui donner tout ce qui lui manquait, et de forcer la nature, elle accordait tout à ses cousins et à ses cousines, élevés chez son oncle Jean-François de Laborde, et ils faisaient des progrès rapides dans plus d’un art,

  1. Sur Van Swieten, qui, avec raison, n’était pas aimé de Voltaire, voyez une note des éditeurs de Kehl sur l’Épître au roi de Danemark, tome X ; et les notes, tome XXV, page 337 ; XXVII, 346.
  2. Pierre-Joseph-François, né à Paris, le 19 décembre 1732. (B.)