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DE L’EMPEREUR JULIEN.

réprouva celui de Caïn, et d’expliquer en même temps ce que veulent dire ces paroles[1] : « Si tu offres bien et que tu divises mal, n’as-tu pas péché ? » Quant à moi, je pense que l’offrande d’Abel fut mieux reçue que celle de Caïn parce que le sacrifice des victimes est plus digne de la grandeur de Dieu que l’offre des fruits de la terre.

Ne considérons pas seulement ce premier passage ; voyons-en d’autres qui ont rapport aux prémices offertes à Dieu par les enfants d’Adam. « Dieu regarda Abel et son oblation, mais il n’eut point d’égard à Caïn, et il ne considéra pas son oblation. Caïn devint fort triste, et son visage fut abattu. Et le Seigneur dit à Caïn : Pourquoi es-tu devenu triste, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Ne pèches-tu pas, si tu offres bien et que tu ne divises pas bien ? » Voulez-vous savoir quelles étaient les oblations d’Abel et de Caïn ? « Or il arriva, après quelques jours, que Caïn présenta au Seigneur les prémices des fruits de la terre ; et Abel offrit les premiers nés de son troupeau et leur graisse. » Ce n’est pas le sacrifice, disent les Galiléens, mais c’est la division que Dieu condamna, lorsqu’il adressa ces paroles à Caïn : « N’as-tu pas péché, si tu as bien offert et si tu as mal divisé ? » Ce fut là ce que me répondit à ce sujet un de leurs évêques, qui passe pour être un des plus sages. Alors l’ayant prié de me dire quel était le défaut qu’il y avait eu dans la division[2] de Caïn, il ne put jamais le trou-

  1. Genèse, iv, 7.
  2. Cela prouve incontestablement que l’Église grecque, qui est la mère de toutes les autres, n’entendait pas autrement ce passage. La traduction latine que nous avons de la Bible est très-infidèle. Les savants y ont remarqué plus de douze mille fautes. Mais que veut dire tu as mal divisé ? Cela signifie, ce me semble, tu n’as pas fait les portions égales, tu as mal coupé l’agneau ou le chevreau que tu as offert. L’évêque qui ne sut que répondre à Julien, et qui se tenait confondu, avait bien raison de l’être : car il est évident que le prêtre, quel qu’il soit, qui écrivit le Pentateuque sous le nom de Moïse, veut insinuer, par la fable de Caïn et d’Abel, qu’il faut, quand on offre une victime, donner la meilleure part aux prêtres. Il n’osait pas donner cette explication à Julien, qui lui aurait répondu : Vous avouez donc que vous êtes des fripons, vous avouez donc que le faussaire auteur du Pentateuque, tout rempli de l’idée des sacrifices qu’on faisait de son temps, impute maladroitement à Caïn ce qu’on reprocha dans la suite des temps aux indévots qui ne faisaient pas les parts des prêtres assez bonnes : car enfin s’il n’y avait eu qu’Adam, Ève, Caïn, et Abel sur la terre, pourquoi Caïn aurait-il mal divisé ? Est-ce pour son père et pour sa mère ? Cela n’intéresse guère les prêtres. Les commentateurs n’expliquent point ce passage. Calmet, qui dit tant de choses inutiles, n’en dit mot.

    Il y a des choses plus importantes à considérer dans ce chapitre de la Genèse. Dieu reçoit avec plaisir la graisse des agneaux que lui offre Abel, et rejette les fruits de Caïn. Pourquoi Dieu aime-t-il plus la graisse et le sang qu’une gerbe de blé ? Quelle abominable gourmandise on lui impute ! Quoi ! selon la Genèse, voilà