Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/594

Cette page n’a pas encore été corrigée

S84 NOUVELLES PROBABILITÉS

Une telle démarche aurait été aussi inutile qu'abominable et dangereuse. S'il eût en effet touché cent mille écus, il n'avait qu'à les garder, se taire, et ne les point payer à l'échéance, quitte pour dire enfin au docteur es lois : « Mon bien est en direction, pourvoyez-vous envers mes autres créanciers, vous ne pouvez être payé qu'après eux^ »

Cette marche était simple, aisée, et sûre, s'il avait voulu agir avec mauvaise foi. Il semble évident qu'il ne peut être coupable de la manœuvre déshonorante et absurde dont on l'accuse.

Comment donc cette querelle si funeste a-t-elle pu s'élever? Comment ce procès si compliqué a-t-il pu se former? Ne pourra- t-on pas enfin trouver la solution de ce problème?

Voici comme il semble que tout s'est passé. Ce gentilhomme cherche à emprunter de l'argent; il met en campagne des cour- tières. Une d'elles, qui est liée avec la grand'mère du docteur es lois, s'adresse à lui. Celui-ci prête douze cents francs à l'officier, qui en avait un besoin pressant, et lui fait espérer de lui négocier cent mille écus. « Donnez-moi vos billets, lui dit-il, vous ne payerez que six pour cent d'intérêt, et dans quelques jours vous aurez votre argent. »

Le gentilhomme, aveuglé par cette promesse, prend le jeune docteur es lois pour un homme simple, ill'est lui-même; il signe sa ruine dans l'espérance d'avoir de l'argent. Au bout de deux jours il entre en défiance. Le docteur, qui en est instruit, et qui craint la police, n'a d'autre ressource que de la prévenir. II s'adresse, lui et sa grand'mère, au lieutenant criminel. Cette démarche même paraît celle d'un homme égaré, car il demande qu'on saisisse chez l'officier les cent mille écus qu'il dit avoir prêtés; mais de quel droit peut-on faire saisir un argent dont le payement n'est pas échu? Et si l'officier veut abuser de cet argent, s'il l'a détourné, comment le trouvera-t-on ?

Le gentilhomme, de son côté, dès qu'il est sûr que le docteur l'a voulu tromper, court chez le lieutenant de police, et demande qu'on oblige les délinquants à restituer des billets dont ils n'ont point donné la valeur. Toute cette marche est naturelle, et s'explique aisément.

L'autre, au contraire, est incompréhensible. Il faut supposer d'abord cent mille écus donnés secrètement à une pauvre femme depuis plus de trente ans, cachés pendant tout ce temps à une

��1. Selon Voltaire lui-même, c'était là réellement Fintention première de Moran- giés. Mais Du Jonquay avait encore été plus fin que lui : il l'avait prévenu. (G. A.)

�� �