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DISCOURS

dont vous vous efforcez de vous servir : « Le prince ne manquera point dans Juda, et le chef d’entre ses jambes. » Cela ne peut être attribué à Jésus, mais au royaume de David, qui finit sous le roi Zédéchias. D’ailleurs l’Écriture, dans ce passage que vous citez, est certainement interpolée, et l’on y lit le texte de deux manières différentes[1]: « Le prince ne manquera pas dans Juda, et le chef d’entre ses jambes ; jusques à ce que les choses qui lui ont été réservées arrivent ; » mais vous avez mis à la place

  1. L’empereur a évidemment raison, et de telles absurdités devaient le mettre en colère. C’était une ancienne erreur asiatique d’imaginer que les dernières paroles des mourants étaient des espèces de prédictions. Dans cette idée, l’auteur de la fable de la Genèse imagine que Jacob fait un testament prophétique, et c’est sur ce modèle qu’un chrétien du Ier siècle fabriqua aussi le Testament des douze Patriarches [voyez tome XVII, page 302] que nous avons encore tout entier, et qui est aussi absurde que le testament du père Jacob. Ce Jacob assemble donc ses enfants autour de lui, Genèse, ch. xlix ; il dit à Ruben qu’il ne sera pas fort riche, parce qu’il a couché avec sa belle-mère. Il maudit Siméon et Lévi, et cependant Lévi eut le meilleur partage, puisqu’il eut la dîme. Il fait la meilleure part à Juda, et il faut bien que ce soit quelqu’un de la tribu de Juda qui ait forgé ce beau testament.

    « Juda est un jeune lion, il ira à la proie, ses frères le loueront, la verge d’entre les cuisses ne sera point ôtée de Juda jusqu’à ce que Silo vienne : Juda liera son ânon et son ânesse à la vigne, il lavera sa robe dans le vin. »

    « Zabulon sera sur le bord de la mer. » (En cela le bonhomme se trompa ; Zabulon n’eut jamais de port.)

    « Issachar sera comme un âne. » (Quand Jacob en aurait dit autant des onze autres tribus, il ne se serait pas trompé.)

    « Dan sera une couleuvre dans le chemin, et mordra le pied du cheval. » (Remarquez que plusieurs Pères ont cru que l’Antéchrist viendrait de la tribu de Dan.)

    « Gad sera troussé pour combattre et pour s’enfuir. »

    « Nephtali est un cerf donnant des discours de beauté. »

    « Le fils de Joseph croît, et les filles ont couru sur la muraille. »

    « C’est de là que sort le pasteur, caillou d’Israël. »

    Si on y avait songé, le pasteur caillou d’Israël aurait bien plus désigné Jésus, qu’on appelle le bon pasteur et la pierre angulaire, que non pas le lion de Juda : car en quoi Jésus a-t-il été un lion ? C’est donc la verge et le chef d’entre les cuisses, qui, selon les Pères grecs, est une prophétie de Jésus. Quelle pitié et quel comble de bêtise ! Les centuries de Nostradamus ne sont-elles pas cent fois plus raisonnables ?

    Voyez avec quelle force ces extravagances sont réfutées par le curé Meslier. Ce curé était véritablement le bon pasteur. Il donna tous les ans à ses pauvres paroissiens ce qu’il avait épargné sur son modique revenu. Il demanda pardon à Dieu, en mourant, d’avoir enseigné le christianisme. Son testament, qui a été imprimé plusieurs fois [voyez tome XXIV, page 293], vaut mieux sans doute que le testament de Jacob. Il rend raison avec une simplicité naïve de son horreur pour la religion sophistique. Il montre le ridicule de toutes ces prétendues prophéties, de tous ces miracles, de tous ces engins dont les scélérats se sont servis pour enlacer des imbéciles, et pour les rendre quelquefois aussi méchants, aussi barbares qu’eux-mêmes. (Note de Voltaire.)