Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
DE L’EMPEREUR JULIEN.

avaient eu les vices dont il parle, mais qu’ils avaient été absous et purifiés par une eau qui a la vertu de nettoyer, de purger, et qui pénètre jusqu’à l’âme. Cependant l’eau du baptême n’ôte point la lèpre, les dartres, ne détruit pas les mauvaises tumeurs, ne guérit ni la goutte ni la dyssenterie, ne produit enfin aucun effet sur les grandes et les petites maladies du corps ; mais elle détruit l’adultère, les rapines, et nettoie l’âme de tous ses vices. Les chrétiens soutiennent qu’ils ont raison de s’être séparés des Juifs. Ils prétendent être aujourd’hui les vrais Israélites, et les seuls qui croient à Moïse, et aux prophètes qui lui ont succédé dans la Judée. Voyons donc en quoi ils sont d’accord avec ces prophètes ; commençons d’abord par Moïse, qu’ils prétendent avoir prédit la naissance de Jésus. Cet Hébreu dit, non pas une seule fois, mais deux, mais trois, mais plusieurs, qu’on ne doit adorer qu’un dieu, qu’il appelle le Dieu suprême ; il ne fait jamais mention d’un second dieu suprême. Il parle des anges, des puissances célestes, des dieux des nations : il regarde toujours le Dieu suprême comme le Dieu unique ; il ne pensa jamais qu’il y en eût un second qui lui fût semblable, ou qui lui fût inégal, comme le croient les chrétiens. Si vous trouvez quelque chose de pareil dans Moïse, que ne le dites-vous ? vous n’avez rien à répondre sur cet article : c’est même sans fondement que vous attribuez au fils de Marie ces paroles[1] : « Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète tel que moi dans vos frères, et vous l’écouterez. » Cependant, pour abréger la dispute, je veux bien convenir que ce passage regarde Jésus. Voyez que Moïse dit qu’il sera semblable à lui, et non pas à Dieu ; qu’il sera pris parmi les hommes, et non pas chez Dieu. Voici encore un autre passage,

  1. Le raisonnement de l’empereur est très-convaincant. Ce passage du Deutéronome, chap. xviii, v. 15, ne peut guère regarder que Josué, qui succéda à Moïse. On ne peut s’étonner assez de l’audace des premiers chrétiens, qui corrompaient tous les passages des anciens livres juifs pour y trouver des prédictions de leur Jésus. Si Issachar est comparé à un âne, cela veut dire que Jésus entrera dans Jérusalem sur un âne. Si le prophète Isaïe [viii, 3] dit qu’une femme ou fille accouchera d’un garçon qui s’appellera partagez vite les dépouilles, cela signifie que Marie, femme du charpentier Joseph, qui avait déjà deux enfants, accouchera de Jésus et demeurera vierge. Il ne faut pourtant pas s’étonner que de pareilles allusions, de pareilles prédictions, trompassent les ignorants et les faibles. Des enthousiastes leur disaient : Tenez, lisez, voyez ; Jésus a été prédit partout, Jésus est Dieu, il viendra bientôt dans une nuée pour vous juger. Le monde va finir, il l’a prédit lui-même ; donnez-nous votre argent, et vous aurez le royaume des cieux. Les femmelettes de tous les pays se laissent prendre à ces pièges. La canaille s’attroupe autour du charlatan, et enfin les grands sont obligés de suivre cette canaille devenue trop formidable. (Note de Voltaire.)