Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/565

Cette page n’a pas encore été corrigée

SUR LE PROCÈS DE 31 ADEMOISELLE CAMP. 555

On doit espérer qu'un jour la sagesse du ministère trouvera le moyen de concilier ce qu'on doit à la religion dominante et à la mémoire de Louis XIV, avec ce qu'on doit à la nature et au bien de la patrie.

Ce moyen semble déjà indiqué en quelque sorte par la con- duite qu'on tient en Alsace. Les luthériens ont joui sans inter- ruption de tous les droits de citoyen, depuis que le roi est en possession de cette belle province. Leurs mariages sont reconnus légitimes, ils partagent les charges municipales avec les catho- liques. L'université de Strasbourg leur appartient tout entière. Les calvinistes même y possèdent quatre temples. Ces trois reli- gions vivent en paix comme dans l'empire.

Il est donc évident, par une expérience heureuse, que plu- sieurs religions peuvent subsister ensemble sans aucun trouble, ainsi que plusieurs manufactures jalouses Tune de l'autre peuvent prospérer dans une même ville, lorsqu'une administration pru- dente contient chacune dans ses bornes. L'émulation les vivifie, et la discorde ne les déchire pas. C'est ce qu'on voit en Allemagne, en Russie, en Angleterre, en Hollande, en Suisse.

Le seul obstacle qui pourrait détruire en Alsace l'esprit de charité qui doit régner entre tous les hommes serait peut-être l'ancienne loi qui défend aux catholiques et aux protestants, soit luthériens, soit calvinistes, de s'unir par les liens du mariage. Si saint Paul a dit* que l'épouse fidèle convertissait le mari infi- dèle, cette conversion ne devrait s'opérer en aucun pays plus promptement qu'en France, où le sexe a tant d'empire, où les plaisirs, les spectacles, les fêtes brillantes, sont le partage de la religion dominante, où les grâces du prince, souvent sollicitées par les femmes, volent en foule au-devant de quiconque en est susceptible.

Cette proscription de mariages entre catholiques et protestants est une loi contre l'amour-, elle semble désavouée par la nature; elle forme deux peuples où l'on n'en devrait voir qu'un seul. On ne répétera pas ici tout ce qui a été dit sur une matière si inté- ressante et si délicate. Cent volumes ne valent pas un arrêt du conseil. Attendons de la prudence et de la bonté de nos rois ce qu'on n'obtiendra jamais par des arguments de théologie.

Espérons pour nos frères désunis une tolérance politique que nos maîtres sauront accorder avec la religion dont ils sont les protecteurs.

L I. Cor., MI, 13-14.

�� �