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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


ouvrages que si le bien est dans vous, le mal doit être dans eux.

« Pour moi, tout imparfait que je suis, je vous remercie encore de m'avoir donné l'être pour un peu de temps, et surtout de ne m'avoir pas fait professeur de théologie.

« Ce n'est point là du tout un mauvais compliment. Dieu ne saurait être fâché contre moi, quand je ne veux pas lui déplaire. Enfin je pense qu'en ne faisant jamais de tort à mes frères, et en respectant mon maître, je n'aurai rien à craindre ni d'Arimane, ni de Satan, ni de Knat-bull, ni de Cerbère et des furies, ni de saint Fiacre et saint Crépin, ni même de ce monsieur Cogé, régent de seconde, qui a pris magis pour minus, et que j'achèverai mes jours en paix in ista quæ vocatur hodie philosophia [1].

«  Je viens à vous, monsieur Acosta, monsieur Abrabanel, monsieur Benjamin [2] ; vous me paraissez les plus fous de la bande. Les Cafres, les Hottentots, les nègres de Guinée, sont des êtres beaucoup plus raisonnables et plus honnêtes que les Juifs vos ancêtres. Vous l'avez emporté sur toutes les nations en fables impertinentes, en mauvaise conduite, et en barbarie ; vous en portez la peine, tel est votre destin. L'empire romain est tombé ; les Parsis, vos anciens maîtres, sont dispersés ; les Banians le sont aussi. Les Arméniens vont vendre des haillons, et sont courtiers dans toute l'Asie. Il n'y a plus de trace des anciens Égyptiens. Pourquoi seriez-vous une puissance ?

« Pour vous, monsieur le turc, je vous conseille de faire la paix au plus vite avec l'impératrice de Russie, si vous voulez conserver ce que vous avez usurpé en Europe. Je veux croire que les victoires de Mahomet, fils d'Abdalla, sont des miracles ; mais Catherine II fait des miracles aussi : prenez garde qu'elle ne fasse un jour celui de vous renvoyer dans les déserts dont vous êtes venus. Continuez surtout à être tolérants : c'est le vrai moyen de plaire à l'Être des êtres, qui est également le père des Turcs et des Russes, des Chinois et des Japonais, des nègres, des tannés et des jaunes, et de la nature entière.  »


X. — Discours d'un citoyen.


Quand le théiste eut parlé, il se leva un homme qui dit : « Je suis citoyen , et par conséquent l'ami de tous ces messieurs. Je

  1. Voyez, tome XXIX, page 7, le Discours de Me Belleguier, avocat.
  2. Voyez, sur le premier de ces Juifs, les Lettres au prince de Brunswick ; le deuxième est un célèbre rabbin de Lisbonne, 1437-1508, qui a laissé un Traité des œuvres de Dieu ; et le troisième est Benjamin de Tudela, qui visita la plus grande partie du monde connu, vers 1100-1173. (G. A.)