Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/547

Cette page n’a pas encore été corrigée
537
OU LE PRINCIPE D'ACTION.


et Jules II ; proférez-le sur les ruines de cent villes englouties par des tremblements de terre, et au milieu de douze millions d'Américains qu'on assassine en douze millions de manières pour les punir de n'avoir pu entendre en latin une bulle du pape que des moines leur ont lue. Proférez-le aujourd'hui 24 auguste, ou 24 août 1772, jour où ma plume tremble dans ma main, jour de l'anniversaire centenaire de la Saint-Barthélémy. Passez de ces théâtres innombrables de carnage à ces innombrables réceptacles de douleurs qui couvrent la terre, à cette foule de maladies qui dévorent lentement tant de malheureux pendant toute leur vie ; contemplez enfin cette bévue affreuse de la nature, qui empoisonne le genre humain dans sa source, et qui attache le plus abominable des fléaux au plaisir le plus nécessaire. Voyez ce roi si méprisé, Henri III, et ce chef de parti si médiocre, le duc de Mayenne, attaqués tous deux de la vérole en faisant la guerre civile ; et cet insolent descendant d'un marchand de Florence, ce Gondi, ce Retz, ce prêtre, cet archevêque de Paris, prêchant un poignard à la main avec la chaude-p..... Pour achever ce tableau si vrai et si funeste, placez-vous entre ces inondations et ces volcans, qui ont tant de fois bouleversé tant de parties de ce globe ; placez-vous entre la lèpre et la peste, qui l'ont dévasté. Vous enfin qui lisez ceci, ressouvenez-vous de toutes vos peines, avouez que le mal existe, et n'ajoutez pas à tant de misères et d'horreurs la fureur absurde de les nier.


XVII. — Des romans inventés pour deviner l'origine du mal.


De cent peuples qui ont recherché la cause du mal physique et moral, les Indiens sont les premiers dont nous connaissons les imaginations romanesques. Elles sont sublimes, si le mot sublime veut dire haut, car le mal, selon les anciens brachmanes, vient d'une querelle arrivée autrefois dans le plus haut des cieux, entre les anges fidèles et les anges jaloux. Les rebelles furent précipités du ciel dans l'Ondéra pour des milliards de siècles. Mais le grand Être leur fit grâce au bout de quelques mille ans : on les fit hommes, et ils apportèrent sur la terre le mal qu'ils avaient fait naître dans l'empyrée. Nous avons rapporté ailleurs [1] avec étendue cette antique fable, la source de toutes les fables.

Elle fut imitée avec esprit chez les nations ingénieuses, et avec grossièreté chez les barbares. Rien n'est plus spirituel et plus

  1. Tome XVII, page 248 ; XVIII, 34.