Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/546

Cette page n’a pas encore été corrigée
536
IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


santerie, était un des hommes les plus à plaindre que j'aie jamais connus, contrefait dans son corps, inégal dans son humeur, toujours malade, toujours à charge à lui-même, harcelé par cent ennemis jusqu'à son dernier moment. Qu'on me donne du moins des heureux qui me disent : Tout est bien.

Si on entend par ce tout est bien que la tête de l'homme est bien placée au-dessus de ses deux épaules; que ses yeux sont mieux à côté de la racine de son nez que derrière ses oreilles ; que son intestin rectum est mieux placé vers son derrière qu'auprès de sa bouche : à la bonne heure! Tout est bien dans ce sens-là. Les lois physiques et mathématiques sont très-bien observées dans sa structure. Qui aurait vu la belle Anne de Boulen, et Marie Stuart plus belle encore, dans leur jeunesse, aurait dit : Voilà qui est bien ; mais l'aurait-il dit en les voyant mourir par la main d'un bourreau ? L'aurait-il dit en voyant périr le petit-fils de la belle Marie Stuart, par le même supplice, au milieu de sa capitale [1] ? L'aurait-il dit en voyant l'arrière-petit-fils plus malheureux encore, puisqu'il vécut plus longtemps? etc., etc., etc.

Jetez un coup d'œil sur le genre humain, seulement depuis les proscriptions de Sylla jusqu'aux massacres d'Irlande.

Voyez ces champs de bataille où des imbéciles ont étendu sur la terre d'autres imbéciles parle moyen d'une expérience de physique que fit autrefois un moine [2]. Regardez ces bras, ces jambes, ces cervelles sanglantes, et tous ces membres épars : c'est le fruit d'une querelle entre deux ministres ignorants, dont ni l'un ni l'autre n'auraient pu dire un mot devant Newton, devant Locke, devant Halley ; ou bien c'est la suite d'une querelle ridicule entre deux femmes très-impertinentes. Entrez dans l'hôpital voisin, où l'on vient d'entasser ceux qui ne sont pas encore morts ; on leur arrache la vie par de nouveaux tourments, et des entrepreneurs font ce qu'on appelle une fortune en tenant un registre de ces malheureux, qu'on dissèque de leur vivant, à tant par jour, sous prétexte de les guérir.

Voyez d'autres gens vêtus en comédiens [3] gagner quelque argent à chanter, dans une langue étrangère, une chanson très-obscure et très-plate, pour remercier le père de la nature de cet exécrable outrage fait à la nature, et puis dites tranquillement : Tout est bien. Proférez ce mot, si vous l'osez, entre Alexandre VI

  1. Charles V, roi d'Angleterre ; voyez tome XIII, page 74.
  2. Schwartz ; voyez tome XI, page 19.
  3. Les prêtres catholiques. (B.)