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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


veuille sans cause. Si cette cause n'a pas son effet infaillible, elle n'est plus cause. Le nuage qui dirait au vent : Je ne veux pas que tu me pousses, ne serait pas plus absurde. Cette vérité ne peut jamais nuire à la morale. Le vice est toujours vice, comme la maladie est toujours maladie. Il faudra toujours réprimer les méchants : car, s'ils sont déterminés au mal, on leur répondra qu'ils sont prédestinés au châtiment.

Éclaircissons toutes ces vérités.


XIV. — Ridicule de la prétendue liberté nommée liberté d'indifférence.


Quel admirable spectacle que celui des destinées éternelles de tous les êtres enchaînés au trône du fabricateur de tous les mondes ! Je suppose un moment que cela ne soit pas, et que cette liberté chimérique rende tout événement incertain. Je suppose qu'une de ces substances intermédiaires entre nous et le grand Être (car il peut en avoir formé des milliards) vienne consulter cet Être éternel sur la destinée de quelques-uns de ces globes énormes placés à une si prodigieuse distance de nous. Le souverain de la nature serait alors réduit à lui répondre : « Je ne suis pas souverain, je ne suis pas le grand Être nécessaire ; chaque petit embryon est le maître de faire des destinées. Tout le monde est libre de vouloir sans autre cause que sa volonté. L'avenir est incertain, tout dépend du caprice ; je ne puis rien prévoir : ce grand tout que vous avez cru si régulier n'est qu'une vaste anarchie où tout se fait sans cause et sans raison. Je me donnerai bien de garde de vous dire : Telle chose arrivera ; car alors les gens malins dont les globes sont remplis feraient tout le contraire de ce que j'aurais prévu, ne fût-ce que pour me faire des malices. On ose toujours être jaloux de son maître lorsqu'il n'a pas un pouvoir absolu qui vous ôte jusqu'à la jalousie : on est bien aise de le faire tomber dans le piège. Je ne suis qu'un faible ignorant. Adressez-vous à quelqu'un de plus puissant et de plus habile que moi. »

Cet apologue est peut-être plus capable qu'aucun autre argument de faire rentrer en eux-mêmes les partisans de cette vaine liberté d'indifférence, s'il en est encore, et ceux qui s'occupent sur les bancs à concilier la prescience avec cette liberté, et ceux qui parlent encore, dans l'université de Salamanque ou à Bedlam, de la grâce médicinale et de la grâce concomitante.