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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


irrévocablement à l'impulsion qui la dirige : cela est évident, cela est assez connu. Tout animal est doué d'une volonté, et il faut être fou pour croire qu'un chien qui suit son maître n'ait pas la volonté de le suivre. Il marche après lui irrésistiblement : oui, sans doute ; mais il marche volontairement. Marche-t-il librement ? Oui, si rien ne l'empêche ; c'est-à-dire, il peut marcher, il veut marcher, et il marche ; ce n'est pas dans sa volonté qu'est sa liberté de marcher, mais dans la faculté de marcher à lui donnée. Un rossignol veut faire son nid, et le construit quand il a trouvé de la mousse. Il a eu la liberté d'arranger ce berceau, ainsi qu'il a eu la liberté de chanter quand il en a eu envie, et qu'il n'a pas été enrhumé ; mais a-t-il eu la liberté d'avoir cette envie ? A-t-il voulu vouloir faire son nid ? A-t-il eu cette absurde liberté d'indifférence que des théologiens ont fait consister à dire : « Je ne veux ni ne veux pas faire mon nid, cela m'est absolument indifférent ; mais je vais vouloir faire mon nid uniquement pour le vouloir, et sans y être déterminé par rien, et seulement pour vous prouver que je suis libre ? » Telle est l'absurdité qui a régné dans les écoles. Si le rossignol pouvait parler, il dirait à ces docteurs : « Je suis invinciblement déterminé à nicher, je veux nicher, j'en ai le pouvoir, et je niche ; vous êtes invinciblement déterminés à raisonner mal, et vous remplissez votre destinée comme moi la mienne. »

[1]Dieu nous tromperait, me dit le docteur Tamponet [2], s'il nous faisait accroire que nous jouissons de la liberté d'indifférence, et si nous ne l'avions pas.

Je lui répondis que Dieu ne me fait point accroire que j'aie cette sotte liberté ; j'éprouve au contraire vingt fois par jour que je veux, que j'agis invinciblement. Si quelquefois un sentiment confus me fait accroire que je suis libre dans votre sens théologal, Dieu ne me trompe pas plus alors que quand il me fait croire que le soleil tourne, que ce soleil n'a pas plus d'un pied de diamètre, que Vénus n'est pas plus grosse qu'une pilule, qu'un bâton droit est couché dans l'eau, qu'une tour carrée est ronde, que le feu a de la chaleur, que la glace a de la froideur, que les couleurs sont dans les objets. Toutes ces méprises sont nécessaires ; c'est une suite évidente de la constitution de cet univers. Notre sentiment confus d'une prétendue liberté n'est pas

  1. Cet alinéa et le suivant n'existaient dans aucune édition lorsque, en 1819, je les ai donnés d'après l'errata manuscrit ou supplément à l'errata des éditions de Kehl, rédigé par Decroix. (B.)
  2. Voyez les Questions de Zapata.