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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


prédicateurs ont composé des sermons, ou éprouvé des pollutions.

Si notre vie était partagée exactement entre la veille et le sommeil, au lieu que nous ne consumons d'ordinaire à dormir que le tiers de notre chétive durée, et si nous rêvions toujours dans ce sommeil, il serait bien démontré alors que la moitié de notre existence ne dépend point de nous. Mais, supposé que de vingt-quatre heures nous en passions huit dans les songes, il est évident que voilà le tiers de nos jours qui ne nous appartient en aucune manière. Ajoutez-y l'enfance, ajoutez-y tout le temps employé aux fonctions purement animales, et voyez ce qui reste. Vous serez étonné d'avouer que la moitié de votre vie au moins ne vous appartient point du tout. Concevez à présent de quelle inconséquence il serait qu'une moitié dépendît de vous, et que l'autre n'en dépendît pas.

Concluez donc que le principe universel d'action fait tout en vous.

Un janséniste m'arrête là, et me dit : Vous êtes un plagiaire ; vous avez pris votre doctrine dans le fameux livre De l'Action de Dieu sur les créatures, autrement de la Prémotion physique, par notre grand patriarche Boursier, dont nous avons dit [1], « qu'il avait trempé sa plume dans l'encrier de la Divinité ». Non, mon ami ; je n'ai jamais pris chez les jansénistes ni chez les molinistes qu'une forte aversion pour leurs cabales, et un peu d'indifférence pour leurs opinions. Boursier, en prenant Dieu pour son cornet, sait précisément de quelle nature était le sommeil d'Adam quand Dieu lui arracha une côte pour en former sa femme ; de quelle espèce était sa concupiscence, sa grâce habituelle, sa grâce actuelle. Il sait avec saint Augustin qu'on aurait fait des enfants sans volupté dans le paradis terrestre, comme on sème son champ, sans goûter en cela le plaisir de la chair. Il est convaincu qu'Adam n'a péché dans le paradis terrestre que par distraction. Moi, je ne sais rien de tout cela, et je me contente d'admirer ceux qui ont une si belle et si profonde science.

  1. Dictionnaire des grands hommes, à l'article BOURSIER.

    N. B. que parmi ces grands hommes il n'y a guère que des jansénistes ; comme parmi les grands hommes de l'abbé Ladvocat on ne trouve guère que des partisans des jésuites. (Note de Voltaire.)

    — L'ouvrage dont parle ici Voltaire est le Dictionnaire historique, littéraire, et critique (par l'abbé de Barral et le P. Guibaud), que quelques personnes ont appelé le Martyrologe des jansénistes. Les rédacteurs disent textuellement que Boursier semble tremper sa plume dans le sein de Dieu même. (B.)

    — L'autre, qui est un Dictionnaire portatif des grands hommes, fut publié, en 1752, comme un abrégé de Moréri.