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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


tenir d'une autre cause ? Il n'a rien que ce que le grand Être lui donne. Ce serait une étrange contradiction, une singulière absurdité, que tous les astres, tous les éléments, tous les végétaux, tous les animaux, obéissent sans relâche irrésistiblement aux lois du grand Être, et que l'homme seul pût se conduire par lui-même.


VIII. — Que l'homme est essentiellement soumis en tout aux lois éternelles du premier principe.


Voyons donc cet animal-homme avec les yeux de la raison que le grand Être nous a donnée.

Qu'est-ce que la première perception qu'il reçoit ? Celle de la douleur ; ensuite le plaisir de la nourriture. C'est là toute notre vie : douleur et plaisir. D'où nous viennent ces deux ressorts qui nous font mouvoir jusqu'au dernier moment, sinon de ce premier principe d'action, de ce grand Demiourgos ? Certes, ce n'est pas nous qui nous donnons de la douleur ; et comment pourrions-nous être la cause du petit nombre de nos plaisirs ? Nous avons dit ailleurs [1] qu'il nous est impossible d'inventer une nouvelle sorte de plaisir, c'est-à-dire un nouveau sens. Disons ici qu'il nous est également impossible d'inventer une nouvelle sorte de douleur. Les plus abominables tyrans ne le peuvent pas. Les Juifs, dont le bénédictin Calmet a fait graver les supplices dans son Dictionnaire [2], n'ont pu que couper, déchirer, mutiler, tirer, brûler, étouffer, écraser : tous les tourments se réduisent là. Nous ne pouvons donc rien par nous-mêmes, ni en bien ni en mal ; nous ne sommes que les instruments aveugles de la nature.

Mais je veux penser, et je pense, dit au hasard la foule des hommes. Arrêtons-nous ici. Quelle a été notre première idée après le sentiment de la douleur ? Celui de la mamelle que nous avons sucée ; puis le visage de notre nourrice ; puis quelques autres faibles objets et quelques besoins ont fait des impressions. Jusque-là oserait-on dire qu'on n'a pas été un automate sentant, un malheureux animal abandonné, sans connaissance et sans pouvoir, un rebut de la nature ? Osera-t-on dire que dans cet état on est un être pensant, qu'on se donne des idées, qu'on a une âme ? Qu'est-ce que le fils d'un roi au sortir de la matrice ? Il dégoû-

  1. Voyez tome XIX, page 398 ; XXI, 340 ; et dans ce volume, page 314.
  2. Dictionnaire historique, critique, etc., de la Bible, quatre volumes in-folio.