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IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


présent à rien me paraît une contradiction dans les termes, une absurdité. Je suis forcé d'admettre une éternité ; mais je ne suis pas forcé d'admettre un infini actuel.

Enfin, que m'importe que l'espace soit un être réel, ou une simple appréhension de mon entendement ? Que m'importe que l'Être nécessaire, intelligent, puissant, éternel, formateur de tout être, soit dans cet espace imaginaire, ou n'y soit pas ? En suis-je moins son ouvrage ? en suis-je moins dépendant de lui ? en est-il moins mon maître ? Je vois ce maître du monde par les yeux de mon intelligence ; mais je ne le vois point au delà du monde.

On dispute encore si l'espace infini est un être réel ou non. Je ne veux point asseoir mon jugement sur un fondement aussi équivoque, sur une querelle digne des scolastiques ; je ne veux point établir le trône de Dieu dans les espaces imaginaires.

S'il est permis, encore une fois, de comparer les petites choses qui nous paraissent grandes, à ce qui est si grand en effet, imaginons un alguazil de Madrid qui veut persuader à un Castillan son voisin que le roi d'Espagne est le maître de la mer qui est au nord de la Californie, et que quiconque en doute est criminel de lèse-majesté. Le Castillan lui répond : « Je ne sais pas seulement s'il y a une mer au delà de la Californie. Peu m'importe qu'il y en ait une, pourvu que j'aie de quoi vivre à Madrid. Je n'ai pas besoin qu'on découvre cette mer pour être fidèle au roi mon maître sur les bords du Manzanarès. Qu'il ait, ou non, des vaisseaux au delà de la baie d'Hudson, il n'en a pas moins le pouvoir de me commander ici ; je sens ma dépendance de lui dans Madrid, parce que je sais qu'il est le maître de Madrid. »

Ainsi notre dépendance du grand Être ne vient point de ce qu'il est présent hors du monde, mais de ce qu'il est présent dans le monde. Je demande seulement pardon au Maître de la nature de l'avoir comparé à un chétif homme pour me mieux faire entendre.


V. — Que tous les ouvrages de l'Étre éternel sont éternels.


Le principe de la nature étant nécessaire et éternel, et son essence étant d'agir, il a donc agi toujours : car, encore une fois, s'il n'avait pas été toujours le Dieu agissant, il aurait été toujours le Dieu indolent, le Dieu d'Épicure, le Dieu qui n'est bon à rien. Cette vérité me paraît démontrée en toute rigueur.

Le monde, son ouvrage, sous quelque forme qu'il paraisse,