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OU LE PRINCIPE D'ACTION.


ignorance est invincible, que des connaissances qui me sont interdites me sont très-sûrement inutiles, et que le grand Être ne me punira pas d'avoir voulu connaître, et de n'avoir pu y parvenir.


IV. — Où est le premier principe ? Est-il infini ?


Je ne vois point le premier principe moteur intelligent d'un animal appelé homme, lorsqu'il me démontre une proposition de géométrie, ou lorsqu'il soulève un fardeau. Cependant je juge invinciblement qu'il y en a un dans lui, tout subalterne qu'il est. Je ne puis découvrir si ce premier principe est dans son cœur, ou dans sa tête, ou dans son sang, ou dans tout son corps. De même, j'ai deviné un premier principe de la nature ; j'ai vu qu'il est impossible qu'il ne soit pas éternel ; mais où est-il ?

S'il anime toute existence, il est donc dans toute existence : cela me paraît indubitable. Il est dans tout ce qui est, comme le mouvement est dans tout le corps d'un animal, si on peut se servir de cette misérable comparaison.

Mais, s'il est dans ce qui existe, peut-il être dans ce qui n'existe pas ? L'univers est-il infini ? On me le dit ; mais qui me le prouvera ? Je le conçois éternel, parce qu'il ne peut avoir été formé du néant ; parce que ce grand principe : rien ne vient de rien, est aussi vrai que deux et deux font quatre ; parce qu'il y a, comme nous avons vu ailleurs [1], une contradiction absurde à dire : L'Être agissant a passé une éternité sans agir ; l'Être formateur a été éternel sans rien former ; l'Être nécessaire a été pendant une éternité l'Être inutile.

Mais je ne vois aucune raison pourquoi cet Être nécessaire serait infini. Sa nature me paraît d'être partout où il y a existence ; mais pourquoi, et comment une existence infinie ? Newton a démontré le vide, qu'on n'avait fait que supposer jusqu'à lui. S'il y a du vide dans la nature, le vide peut donc être hors de la nature. Quelle nécessité que les êtres s'étendent à l'infini ? Que serait-ce que l'infini en étendue ? Il ne peut exister non plus qu'en nombre. Point de nombre, point d'extension à laquelle je ne puisse ajouter. Il me semble qu'en cela le sentiment de Cudworth doit l'emporter sur celui de Clarke.

Dieu est présent partout, dit Clarke. Oui, sans doute ; mais partout où il y a quelque chose, et non pas où il n'y a rien. Être

  1. Lettres de Memmius : voyez page 448.