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IL FAUT PRENDRE UN PARTI,


II. — Du principe d'action nécessaire et éternel.


Ce moteur unique est très-puissant, puisqu'il dirige une machine si vaste et si compliquée. Il est très-intelligent, puisque le moindre des ressorts de cette machine ne peut être égalé par nous, qui sommes intelligents.

Il est un être nécessaire, puisque sans lui la machine n'existerait pas.

Il est éternel : car il ne peut être produit du néant, qui, n'étant rien, ne peut rien produire, et dès qu'il existe quelque chose, il est démontré que quelque chose est de toute éternité. Cette vérité sublime est devenue triviale. Tel a été de nos jours l'élancement de l'esprit humain, malgré les efforts que nos maîtres d'ignorance ont faits pendant tant de siècles pour nous abrutir.


III. — Quel est ce principe ?


Je ne puis me démontrer l'existence du principe d'action, du premier moteur, de l'Être suprême, par la synthèse, comme le docteur Clarke. Si cette méthode pouvait appartenir à l'homme, Clarke était digne peut-être de l'employer ; mais l'analyse me paraît plus faite pour nos faibles conceptions. Ce n'est qu'en remontant le fleuve de l'éternité que je puis essayer de parvenir à sa source.

Ayant donc connu par le mouvement qu'il y a un moteur ; m'étant prouvé par l'action qu'il y a un principe d'action, je cherche ce que c'est que ce principe universel ; et la première chose que j'entrevois avec une secrète douleur, mais avec une résignation entière, c'est qu'étant une partie imperceptible du grand tout, étant, comme dit Timée [1], un point entre deux éternités, il me sera impossible de comprendre ce grand tout et son maître, qui m'engloutissent de toutes parts.

Cependant je me rassure un peu en voyant qu'il m'a été donné de mesurer la distance des astres, de connaître le cours et les lois qui les retiennent dans leurs orbites. Je me dis : Peut-être parviendrai-je, en me servant de bonne foi de ma raison, jusqu'à trouver quelque lueur de vraisemblance qui m'éclairera dans la profonde nuit de la nature ; et si ce petit crépuscule que je cherche ne peut m'apparaître, je me consolerai en sentant que mon

  1. Cette pensée est de Mercure trismégiste ; voyez la note, tome XYIII, pape 521.