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EN FAIT DE JUSTICE. o04

Bruxelles. On trouva un honnête fiacre qui déposa qu'il avait mené M™^ Gonep à la porte des jésuites avec des sacs pleins d'or. C'était apparemment un fiacre janséniste. Il jura que lui-même avait porté les sacs dans la chambre de Père Yancin, laquelle il dépeignit parfaitement; et il ajouta, avec la candeur de Finno- cence, qu'il était tombé deux fois en succombant sous le fardeau.

A peine l'ambassadeur dépêché à la conscience de M. le prince d'Orange fut-il de retour avec la déclaration, qui n'était pas à l'avantage de M'"" Genep, que cette bonne femme mourut. Mais en mourant elle protesta que le Père Yancin lui devait légitime- ment trois cent mille florins.

Comment concilier la probabilité résultante du certificat du prince d'Orange avec celle que fournissait le testament de mort de M'"" Genep? Les héritiers de cette bonne femme n'osèrent poursuivre le procès, le fiacre janséniste s'enfuit; les jésuites gar- dèrent l'argent, supposé qu'il y en eût; et ils ne gardèrent que leur innocence, supposé, comme je le crois, qu'ils ne fussent point coupables \ On voit assez qu'il est souvent très-difficile de découvrir la vérité, soit qu'elle se cache dans le fond d'un puits, soit qu'elle se réfugie dans la chambre d'un jésuite ou d'un jan- séniste.

Prenons maintenant nos balances pour peser les vraisem- blances entre la vieille pauvre veuve qui jure avoir prêté cent mille écus en or, et un maréchal de camp qui jure ne les avoir pas reçus.

PREMIÈRE PROBABILITÉ E\ FAVEUR DE LA VEUVE ET DE SA FAMILLE.

D'abord, madame (comme a très-bien dit l'avocat- qui plaide contre vous), pour prêter cent mille écus il faut les avoir. Il n'est pas à croire que vous eussiez cent mille écus en or depuis long- temps, en demeurant avec toute votre famille dans un galetas de la rue Saint-Jacques. Vous avez articulé une origine de cette for- tune secrète; mais vous n'en avez jamais apporté que des preuves

��i. La même histoire est racontée dans une lettre qui courut à Paris, mais avec des particularités un peu différentes. Il est aisé de s'informer à Bruxelles du détail de cette étrange aventure. [Note de Voltaire.) — On voit que Voltaire n'est pas aussi affirmatif dans la conclusion de son récit qu'au début. Dans une lettre à d'Argens en date du 18 juillet 1739, il avait même raconté que M""^ Genep avait été réellement volée par les jésuites. Je ne sais si c'est de cette lettre qu'il veut parler. (G. A.)

2. Linsuet.

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