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LETTRE


reconnaître évidemment mille parcelles d’un talc informe ; et j’ai conclu, avec un orgueil punissable, que c’est une mine qui occupe environ deux lieues et demie. J’ai hasardé cette idée criminelle avec une audace d’autant plus lâche que ce falun ne se trouve dans aucun autre pays, ni à quarante lieues de la mer, ni à vingt, ni à dix ; et que si c’était un monceau de coquilles déposé par la mer dans une prodigieuse suite de siècles, il y en aurait certainement sur d’autres côtes.

C’est avec cette espèce de marne qu’on fume les champs voisins ; et j’ai eu l’impudence de dire, moi qui suis laboureur, que des coquilles de cinquante mille siècles ne me donneraient jamais du blé. Mais j’avoue que je ne l’ai dit que par jalousie contre les Tourangeaux.

2° Cette détestable jalousie que j’ai toujours eue des succès du consul Maillet[1] m’a porté jusqu’à douter qu’il y avait des amas de coquilles sur les Hautes-Alpes. J’avoue que j’en ai fait chercher[2] pendant quatre ans, et qu’on n’y en a pas trouvé une seule. On n’en trouve pas plus, dit-on, sur les montagnes de l’Amérique ; mais ce n’est pas ma faute.

3° Je confesse que les pierres lenticulaires[3], les étoilées, les glossopètres, les cornes d’Ammon, dont mon voisinage est plein, ne m’ont jamais paru des poissons ; mais il ne m’était pas permis de le dire.

4° Cette même jalousie m’a fait douter aussi que l’Océan eût produit le mont Atlas, et que la Méditerranée eût fait naître le mont Caucase[4]. J’ai même osé soupçonner que les hommes n’ont pas été originairement des marsouins, dont la queue fourchue s’est changée visiblement en cuisses et en jambes, comme Maillet le prétend avec beaucoup de vraisemblance.

5° C’est avec une malice d’enfer qu’ayant examiné la chaux[5] dont je me sers depuis vingt ans pour bâtir, je n’y ai trouvé ni coquilles, ni oursins de mer.

6° J’avoue que la même envie diabolique m’a empêché de convenir, jusqu’à présent, que ce globe soit de verre[6]. Je crois que les gens qui l’habitent sont très-fragiles, et surtout moi. Mais pour peu qu’on veuille absolument que la terre soit de verre, comme l’était autrefois le firmament, j’y consens du meilleur de mon cœur pour le bien de la paix.

  1. L’auteur du Telliamed avait été consul de France en Égypte.
  2. Voyez le chapitre XII du même ouvrage, tome XXVII, page 145.
  3. Voyez tome XXVII, page 135.
  4. Voyez ibid., page 140.
  5. Voyez ibid., page 155.
  6. Voyez tome XXI, page 332.