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LETTRE
SUR UN ÉCRIT ANONYME[1].


À Ferney, 20 avril 1772.

Dans ce saint temps nous savons comme
On doit expier ses délits,
Et bien dépouiller le vieil homme[2],
Pour rajeunir en paradis.

Une bonne âme, voulant seconder mes intentions, m’a envoyé par la poste, la veille de Pâques, la deux centième brochure qu’on a brochée contre moi depuis quelques années. On m’y fait souvenir d’un de mes péchés que j’avais malheureusement oublié, tant à mon âge on a la mémoire débile ! Ce péché est la jalousie, l’envie. Je la regarde vraiment comme le huitième péché mortel. On me fait apercevoir que j’en suis très-coupable. Je n’ai plus qu’à faire pénitence et à m’amender.

1° L’on m’apprend que je suis indignement jaloux de Bernard Palissy, qui vivait sur la fin du xvie siècle. Il avança que le falun de Touraine n’est qu’un amas de coquilles, dont les lits s’amoncelèrent les uns sur les autres pendant cinquante mille siècles plus ou moins, lorsque la place où est la ville de Tours était le rivage de la mer. Ma jalouse fureur ayant fait venir une caisse de ce falun[3] dans lequel je n’ai trouvé qu’une coquille de colimaçon, j’ai pris insolemment ce falun pour une espèce de pierre calcaire friable, pulvérisée par le temps. J’ai cru y

  1. Cet écrit anonyme était intitulé Réflexions sur la jalousie, pour servir de commentaire aux derniers ouvrages de M. de Voltaire, 1772, in-8°. On écrivit à Voltaire que l’auteur des Réflexions était Diderot, mais il n’en crut rien ; voyez sa lettre à d’Alembert, du 22 avril 1772. L’auteur est Charles-Georges Leroy, né en 1723, mort en 1789, connu par son ouvrage intitulé Lettres sur les animaux, par un philosophe de Nuremberg. (B.)
  2. Paul, Éph., IV, 22 ; Coloss., III, 9.
  3. Voyez le chapitre XVI des Singularités de la nature, tome XXVII, page 150.