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A M. DE BECCARIA. 483

voyages à pied. Si le pauvre agioteur, mari de cette vieille, avait voulu donner en mourant tant d'or à sa femme, il le pouvait de la main à la main, sans employer un tiers.

S'il avait eu cette prétendue vaisselle d'argent, la moitié en appartenait à sa femme, commune en biens. Elle ne serait pas restée tranquille, pendant six mois, dans un bouge à deux cents francs par an, sans redemander sa vaisselle, et sans faire ses dili- gences. Chotard, l'ami prétendu de son mari et d'elle, ne l'aurait pas laissée six mois entiers dans une si grande indigence, et dans une si cruelle inquiétude.

Il y a eu en effet un Chotard ; mais c'était un homme perdu de dettes et de débauches, un banqueroutier frauduleux qui em- porta quarante mille écus aux fermes générales, dans lesquelles il avait un emploi S et qui, probablement, n'aurait pas donné cent mille écus à la veuve Véron, grand'mère du docteur es lois.

La veuve Véron prétend qu'elle fit valoir son argent, et tou- jours secrètement, chez un notaire nommé Gillet ; et on n'en trouve nul vestige dans l'étude de ce notaire.

Elle articule que ce notaire lui rendit son argent, encore secrètement, en 1760 ; et il était mort.

Si tous ces faits sont vrais, il faut avouer que la cause de Du Jonquay et de la Véron, fondée sur une foule de mensonges ridicules, tombe évidemment avec eux.

2° Le testament de la Véron, .fait une demi-heure avant son dernier moment-, ayant son Dieu et la mort sur les lèvres, est une pièce bien respectable : on oserait presque dire sacrée ; mais si elle est au nombre de ces choses sacrées qu'on fait servir tous les jours au crime-, si ce testament a été visiblement dicté par les intéressés au procès ; si cette prêteuse sur gages, en recomman- dant son âme à Dieu, a manifestement menti à Dieu, de quel poids est alors cette pièce ? N'est-elle pas la plus forte preuve de l'imposture et de la scélératesse ?

On a toujours fait dire à cette femme, pendant le procès sou- tenu en son propre nom, qu'elle ne possédait que les cent mille écus qu'on voulait lui ravir; qu'elle n'a jamais eu que cette somme; et la voilà qui, dans son testament, articule cinq cent mille livres ! Voilà deux cent mille francs de plus auxquels on ne s'attendait pas, et la veuve Véron convaincue de son crime par sa propre

��1. Deux l'ermiers généraux, MM. de Mazières et Dangé, l'attestent. (Note de Voltaire.)

2. Ce testament est du 12 mars 1772.

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