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A M. DE BECCARIA. 479

Ja lie du peuple, dont les cris se font entendre par toute la France.

La famille pauvre accuse l'officier général de lui voler cent mille écus par la fraude et par la violence. L'officier général accuse ces indigents de lui voler cent mille écus par une ma- nœuvre également criminelle. Ces pauvres se plaignent, non- seulement d'être en risque de perdre un bien immense qu'ils n'ont jamais paru posséder, mais d'avoir été tyrannisés, outragés, battus par des officiers de justice qui les ont forcés de s'avouer coupables et de consentir à leur ruine et à leur châtiment. Le maréchal de camp proteste que ces imputations de fraude et de violence sont des calomnies atroces. Les avocats des deux parties se contredisent sur tous les faits, sur toutes les inductions, et même sur tous les raisonnements; leurs Mémoires sont des tissus de démentis, chacun traite son adversaire d'inconséquent et d'absurde : c'est la méthode de toutes les disputes.

Quand vous aurez eu', monsieur, la bonté de lire leurs Mémoires^ que j'ai l'honneur de vous envoyer, et qui sont assez connus en France, souffrez que je vous soumette mes difficultés : elles sont dictées par l'impartialité. Je ne connais ni aucune des parties, ni aucun des avocats. Mais ayant vu pendant près de quatre-vingts ans la calomnie et l'injustice triompher tant de fois, il m'est permis de chercher à pénétrer dans le labyrinthe habité par ces monstres.

PRÉSOMPTIONS CONTRE LA FAMILLE VÉRON.

1*^ Voilà d'abord quatre billets à ordre pour cent mille écus, faits dans toutes les règles par un officier chargé d'ailleurs de dettes; ils sont au profit d'une femme nommée Véron, qui se dit veuve d'un banquier. Ils sont réclamés par son petit-fils Du Jonquay, son héritier, nouvellement reçu docteur es lois, quoi- qu'il ne sache pas même l'orthographe. Cela suffit-il? Oui, dans une affaire ordinaire; non, si, dans ce cas-ci, très-extraordi- naire, il est d'une extrême vraisemblance que le docteur es lois n'a jamais porté ni pu porter l'argent qu'il prétend avoir livré au nom de son aïeule ; si la grand'mère, qui subsistait à peine dans un galetas, du malheureux métier de prêteuse sur gages,

1. Les mémoires et plaidoyei's pour Morangics étaient deLinguet; les mémoires pour la famille Véron étaient de Vermeil, mort en 1810, à soixante-dix-huit ans, et de Jacques-Vincent Delacroix, né en 17i3, mort à Versailles en 1830. L'avocat Falconet, mort en 1817, fut aussi l'un des défenseurs de la famille Véron. (B.)

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