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478 LETTRE

Votre livre sur les délits et les peines^ ouvrit les yeux à plusieurs jurisconsultes de l'Europe nourris dans des usages absurdes et inhumains, et on commença partout à rougir de porter encore ses anciens habits de sauvages.

On demanda votre sentiment sur le supplice affreux auquel avaient été condamnés deux jeunes gentilshommes^ sortant de l'enfance, dont l'un, échappé aux tortures, est devenu l'un des meilleurs officiers d'un très-grand roi, et l'autre, qui donnait les plus chères espé4-ances, mourut en sage d'une mort affreuse, sans ostentation et sans faiblesse, au milieu de cinq bourreaux. Ces enfants étaient accusés d'une indécence en action et en paroles, faute que trois mois do prison auraient assez punie, et que l'âge aurait infailliblement corrigée.

Vous répondîtes que leurs juges étaient des assassins, et l'Eu- rope pensa comme vous.

Je vous consultai sur les jugements de cannibales contre Calas ^ contre Sirven*, contre Montbailli^ et vous prévîntes les arrêts émanés depuis du chef de notre justice, de nos maîtres des requêtes, et des tribunaux qui ont justifié l'innocence con- damnée, et qui ont rétabli l'honneur de notre nation.

Je vous consulte aujourd'hui sur une affaire d'une nature bien différente. Elle est à la fois civile et criminelle. C'est un homme de qualité, maréchal de camp dans nos armées, qui sou- tient seul son honneur et sa fortune contre une famille entière de citoyens pauvres et obscurs et contre une foule de gens de

��d'affirmer nettement l'innocence de son client : tant que dura la lutte, il ne parla jamais que des apparences, et c'est pourquoi il publia VEssai sur les probabilités en fait de justice, ouvrage remarquable d'intention, puisqu'il était destiné à com- battre l'absurde système des demi-certitudes appliqué par les juges d'alors en toute sûreté de conscience.

Pour se rendre compte de toutes les péripéties de cette affaire, qui dura près de deux ans, il faut recourir aux Mémoires de Bachaumont.

Voltaire composa à Ferney cette Lettre au marquis de Beccaria dans le temps qu'à Paris la Tournelle rendait son arrêt (11 avril 1772) qui renvoyait Morangiés et les héritiers Véron devant le bailliage. Elle dut paraître vers la fin d'avril. Voulant donner son avis sur l'afïaire, le philosophe de Ferney imagine de s'adresser au célèbre jurisconsulte italien, qu'il interroge pour se former une certitude; et cela lui permet d'exposer les faits à sa manière. (G. A.)

1. Voyez, tome XXV, page 539, le Commentaire (de Voltaire) sur le livre Des Délits et des Peines.

2. Le chevalier de La Barre et le chevalier d'Étallonde ; voyez tome XXV, page 501.

3. Voyez tome XXV, page 18.

4. Voyez tome XXV, page 517.

5. Voyez page 429.

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