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468 LE TOCSIN DES ROIS.

sante, et que l'empereur des Romains ne commande dans Rome. Aimez-vous mieux que les Turcs y viennent? Ce fut longtemps leur dessein, et ils pourront un jour l'accomplir si on les laisse respirer et réparer leurs pertes.

On craint encore plus la Russie. Mais en quoi cette puissance serait-elle plus dangereuse que celle des Turcs? Et pourquoi redouter des fléaux éloignés, tandis qu'on peut détruire des fléaux présents?

Quoi! on a donné la Toscane à un frère de l'empereur 1, Parme à un fils d'un roi d'Espagne 2 ; on a dépouillé le pape de Bénévent et d'Avignon sans que personne ait murmuré; et on tremblerait d'ôter les États d'Europe à l'implacable ennemi de toute l'Europe! Les Vénitiens n'oseraient reprendre Candie! On craindrait de rendre Rhodes à ses chevaliers ! On frémirait de voir le Turc hors de la Grèce!

Nos neveux ne pourront un jour comprendre qu'on ait eu cette occasion unique, et qu'on n'en ait pas profité. Et si ce fameux piast 3 Jean Sobieski, ce vainqueur des Ottomans, reve- nait au monde, que dirait-il en voyant ses compatriotes s'unir avec les Turcs contre son successeur?

Les folles croisades durèrent autrefois plus de cent années ; et aujourd'hui la sage union de deux ou trois princes est impra- ticable! Des millions d'hommes allèrent périr en Syrie et en Egypte, et on tremble de laisser prendre Constantinople, quand l'Egypte même nous tend les bras! Et cette malheureuse inaction s'appelle politique ! La vraie politique est de chasser d'abord l'ennemi commun. Laissez au temps le soin de vous armer ensuite les uns contre les autres : vous ne manquerez pas d'occa- sion de vous égorger 4.

��i. Pierre-Léopold-Joseph, grand-duc de Toscane, le 23 août 1765.

2. Don Ferdinand, duc de Parme, le 18 juillet 1765.

3. Ce mot, qui signifie originaire du pays, ét3.it donné aux rois de Pologne. (B.)

4. Le comte Schouvaloff écrivit, au nom de l'impératrice Catherine, à Voltaire pour lui demander s'il ne connaissait pas quelque jeune littérateur capable de faire un article de journal sur des idées qu'elle indiquait. Voltaire se chargea de faire lui-même l'article, qui devait être payé mille ducats. Cet article, c'est le Tocsin des rois.

��FIN DU TOCSIN DES ROIS.

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