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DES ROIS. 467

viennent s'étendre. Il est ainsi conduit d'humiliations en humi- liations. Il dissimule ces affronts, et fait accroire à ses commet- tants qu'il a été reçu avec toutes sortes d'honneurs.

On sait quelles indignités ont souvent souffertes les bailes de Venise. La cour de France ne doit pas avoir oublié que, dans le temps brillant de Louis XIV (en 1658), le grand vizir Méhémet Cuprogli fit donner à l'audience un soufflet, à poing fermé, au sieur de La Haye Vantelet, fils de l'ambassadeur de France, ambassadeur lui-même, et, de plus, médiateur entre l'empire turc et Venise. On cassa une dent à ce ministre, on le mit dans un cachot. Et pourquoi la Porte exerça-t-elle contre lui ces atro- cités? Parce qu'il n'avait pas voulu expliquer une lettre qu'il écrivait en chiffres à un provéditeur de Venise.

Comment cette Porte-Ottomane traite-t-elle les ministres d'une puissance à qui elle veut faire la guerre? Elle commence par les faire mettre en prison. C'est ainsi que Mustapha, maintenant régnant \ a fait enfermer au château des Sept-Tours le plénipo- tentiaire de Russie 2. Cet insolent affront, fait à tous les princes dans la personne de ce ministre, a été bien vengé par les victoires du comte de Romanzof ; par les flottes qui sont venues du fond du Nord mettre en cendre les flottes ottomanes, à la vue de Constantinople, sous le commandement des comtes d'Orlof ; par la conquête de quatre provinces que les princes Galitzin, Dolgo- rouki, et tant d'autres généraux illustres, ont arrachées aux Ottomans.

Tant d'exploits accumulés crient à haute voix au reste de l'Europe : Secondez-nous, et la tyrannie des Turcs est détruite.

Certes, si l'impératrice des Romains, Marie-Thérèse, voulait prêter ses troupes à son digne fils ^ qui pourrait l'empêcher de prendre en une seule campagne toute la Bosnie et toute la Bulgarie, tandis que les armées victorieuses de l'impératrice Catherine II marcheraient à Constantinople?

Combien de fois le comte Marsigli, qui connaissait si bien le gouvernement turc, nous a-t-ildit qu'il est aisé de jeter parterre ce grand colosse, qui n'est puissant que par nos divisions? Je le répète après lui, c'est notre faute si l'Europe n'est pas vengée.

On craint que la maison d'Autriche ne devienne trop puis-

��1. Mort en 1774.

2. D'Obreskoff, ministre de Russie à Constantinople, avait été enfermé aux Sept-Tours le 8 octobre 1768.

3. Joseph II n'était encore que corégent des États héréditaires d'Autriche (Hongrie et Bohême), qui appartenaient à sa mère.

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