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DE L’EMPEREUR JULIEN.

dogmes différents des vôtres sur le Juif mis à mort par les Hébreux ; mais les opinions que vous soutenez sont des chimères que vous avez inventées, car ni Jésus ni Paul ne vous ont rien appris sur ce sujet. La raison en est toute simple : c’est qu’ils ne se sont jamais figuré que vous parvinssiez à ce degré de puissance que vous avez atteint. C’était assez pour eux de pouvoir tromper quelques servantes et quelques pauvres domestiques ; de gagner quelques femmes et quelques hommes du peuple comme Cornélius et Sergius[1]. Je consens de passer pour un imposteur si, parmi tous les hommes qui, sous le règne de Tibère et de Claude, ont embrassé le christianisme, on peut en citer un qui ait été distingué ou par sa naissance ou par son mérite.

Je sens un mouvement qui paraît m’être inspiré, et qui m’oblige tout à coup, Galiléens, à vous demander pourquoi vous avez déserté les temples de nos dieux pour vous sauver chez les Hébreux. Est-ce parce que les dieux ont donné à Rome l’empire de l’univers, et que les Juifs, si l’on excepte un très-court inter-


    devons tuer tous ceux qui ne pensent pas comme nous. Moïse [Exode, xxxii, 28] en fait égorger un jour vingt-trois mille. Samson met le feu aux moissons de ses maîtres [Juges, xv, 4, 3] avec trois cents renards liés par la queue. Jahel assassine Sizara [Juges, iv, 21] ; Aod assassine son roi Églon [Ibid., iii, 21] ; Judith [Judith, xiii, 10] assassine dans son lit son amant Holopherne ; le sage Salomon assassine son frère Adonias [III, Rois, ii, 25] : donc nous devons tuer, brûler, assassiner tous les hérétiques, et les Juifs même qui nous ont enseigné ces homicides.

    Or il y a toujours eu chez les chrétiens plusieurs sectes différentes depuis Jésus ; toutes se sont appelées hérétiques réciproquement : ainsi chacune a exercé le brigandage et le meurtre de droit divin.

    Tantum relligio potuit suadere malorum !

    (Lucr., lib. I, 102.)

    Ô nature ! ô sainte philosophie ! éclairez donc enfin ces malheureux, adoucissez leurs abominables mœurs ; changez ces monstres en hommes. (Note de Voltaire.)

  1. On a reproché beaucoup à l’empereur Julien d’avoir dit que ce Sergius était un homme du peuple. On lui oppose les Actes des apôtres, qui disent [xiii, 7] que Sergius était proconsul de l’île de Chypre. Mais ce n’est pas Julien qui se trompe : c’est le chrétien, demi-juif, auteur des Actes des apôtres, quel qu’il soit. Il n’y eut jamais de proconsul en Chypre. Cette île était de la dépendance du proconsul de Cilicie. Ce sont là des choses dont un empereur est mieux instruit qu’un faiseur d’actes d’apôtres. Le nom de Sergius est romain. Il n’est pas probable qu’un Romain se soit fait chrétien tout d’un coup sur la parole d’un énergumène tel que Paul, qui lui parlait pour la première fois, et qui ne savait pas la langue latine. Enfin entre un empereur et un homme moitié chrétien, moitié juif, il n’y a pas à balancer. Certainement un empereur aussi instruit que Julien devait mieux connaître les usages des Romains qu’un demi-juif de la lie du peuple, qui écrit les faits et gestes de Paul, de Simon, d’André et de Philippe. (Id.)