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A CICÉRON. 453

que cependant elle existe en un lien, et qu'elle peut ainsi rendre raison du grand Être simple. C'est ce que nous allons examiner; mais avant de me plonger dans ce vide, je vous réitère qu'en quelque endroit qu'on pose l'Être suprême, le mît-on en tout lieu sans qu'il remplît de place, le reléguât-on hors de tout lieu sans qu'il cessât d'être, rassemblât-on en lui toutes les contra- dictions des écoles, je l'adorerai tant que je vivrai, sans croire aucune école, et sans porter mon vol dans des régions où nul mortel ne peut atteindre.

XIII. — Si la nature de l'ame peut nous faire connaître la nature de Dieu.

J'ai conclu 1 déjà que puisque une intelligence préside à mon faible corps, une intelligence suprême préside au grand tout. Où me conduira ce premier pas de tortue? Pourrai-je jamais savoir ce qui sent et ce qui pense en moi? Est-ce un être invisible, in- tangible, incorporel, qui est dans mon corps? Nul homme n'a encore osé le dire. Platon lui-même n'a pas eu cette hardiesse. Un être incorporel qui meut un corps! un être intangible qui touche tous mes organes dans lesquels est la sensation ! un être simple, et qui augmente avec l'âge! un être incorruptible, et qui dépérit par degrés! quelles contradictions! quel chaos d'idées incompréhensibles! Quoi! je ne puis rien connaître aue par mes sens, et j'admettrai dans moi un être entièrement opposé à mes sens! Tous les animaux ont du sentiment comme moi, tous ont des idées que leurs sens leur fournissent : auront-ils tous une âme comme moi? Nouveau sujet, nouvelle raison d'être non-seulement dans l'incertitude sur la nature de l'âme, mais dans l'étonnement continuel et dans l'ignorance.

Ce que je puis encore moins comprendre, c'est la dédaigneuse et sotte indiflérence dans laquelle croupissent presque tous les hommes, sur l'objet qui les intéresse le plus, sur la cause de leurs pensées, sur tout leur être. Je ne crois pas qu'il y ait dans Rome deux cents personnes qui s'en soient réellement occupées. Presque tous les Romains disent : Que m'importe ? Et après avoir ainsi parlé, ils vont compter leur argent, courent aux spectacles ou chez leurs maîtresses. C'est la vie des désoccupés. Pour celle des factieux, elle est horrible. Aucun de ces gens-là ne s'embar- rasse de son âme. Pour le petit nombre qui peut y penser, s'il

1. Page 4i3, fin du deuxième paragraphe.

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