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448 LETTRES DE MEMMIUS


VIII. Si Dieu arrangea le monde de toute éternité.

Rien ne se fait de rien. Toute l’antiquité, tous les philosophes sans exception, conviennent de ce principe. Et en effet le contraire paraît absurde. C’est même une preuve de l’éternité de Dieu; c’est bien plus : c’est sa justification. Pour moi, j’admire comment cette auguste intelligence a pu construire cet immense édifice avec de la simple matière. On s’étonnait autrefois que les peintres, avec quatre couleurs, pussent varier tant de nuances. Quels hommages ne doit-on pas au grand Demiourgos, qui a tout fait avec quatre faibles éléments!

Nous venons de voir que si la matière existait. Dieu existait aussi.

Quand l’a-t-il fait obéir à sa main puissante? Quand l’a-t-il arrangée ?

Si la matière existait dans l’éternité, comme tout le monde l’avoue, ce n’est pas d’hier que la su])rême intelligence l’a mise en œuvre. Quoi ! Dieu est nécessairement actif, et il aurait passé une éternité sans agir ! Il est le grand Être nécessaire : comment aurait-il été pendant des siècles éternels le grand Être inutile ?

Le chaos est une imagination poétique : ou la matière avait par elle-même de l’énergie, ou cette énergie était dans Dieu.

Dans le premier cas, tout se serait donné de lui-même, et sans dessein, le mouvement. Tordre, et la vie : ce qui nous semble absurde.

Dans le second cas. Dieu aura tout fait, mais il aura toujours tout fait; il aura toujours tout disposé nécessairement de la manière la plus prompte et la plus convenable au sujet sur lequel il travaillait.

Si on peut comparer Dieu au soleil [1], son éternel ouvrage, il était comme cet astre, dont les rayons émanent dès qu’il existe. Dieu, en formant le soleil lumineux, ne pouvait lui ôter ses taches. Dieu, en formant l’homme avec des passions nécessaires, ne pouvait peut-être prévenir ni ses vices ni ses désastres. Toujours des peut-être; mais je n’ai point d’autre moyen de justifier la Divinité.

Cher Cicéron, je ne demande point que vous pensiez comme moi, mais que vous m’aidiez à penser.

  1. Voltaire a fait cette comparaison dans son Tout en Dieu, ci-dessus, page 98.