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A CICÉRON. 441

que des images très-faibles, très-imparfaites de cette immense sphère du monde que Platon appelle avec tant de raison You- vrage de l'éternel Géomètre. Comment donc oser supposer que l'original est l'eiïet du hasard, quand on avoue que la copie est de la main d'un grand génie?

Le hasard n'est rien; il n'est point de hasard. Nous avons nommé ainsi l'elfet que nous voyons d'une cause que nous ne voyons pas. Point d'effet sans cause; point d'existence sans raison d'exister : c'est là le premier principe de tous les vrais philosophes.

Comment Épicure, et ensuite Lucrèce, ont-ils le front de nous dire que des atomes s'étant fortuitement accrochés ont produit d'abord des animaux, les uns sans bouche, les autres sans vis- cères, ceux-ci privés de pieds, ceux-là de tête, et qu'enfin le même hasard a fait naître des animaux accomplis?

C'est ainsi, disent-ils, qu'on voit encore en Egypte des rats dont une moitié est formée, et dont l'autre n'est encore que de la fange. Ils se sont bien trompés ; ces sottises pouvaient être imaginées par des Grecs ignorants qui n'avaient jamais été en Egypte. Le fait est faux; le fait est impossible. Il n'y eut, il n'y aura jamais ni d'animal ni de végétal sans germe. Quiconque dit que la corruption produit la génération est un rustre, et non pas un philosophe : c'est un ignorant qui n'a jamais fait d'expé- rience.

J'ai trouvé de ces vils charlatans qui me disaient : « Il faut que le blé pourrisse ' et germe dans la terre pour ressusciter, se former, et nous alimenter. » Je leur dis : « Misérables, servez- vous de vos yeux avant de vous servir de votre langue; suivez les progrès de ce grain que je confie à la terre; voyez comme il s'attendrit, comme il s'enfle, comme il se relève, et avec quelle vertu incompréhensible il étend ses racines et ses enveloppes. Quoi! vous avez l'impudence d'enseigner les hommes, et vous ne savez pas seulement d'où vient le pain que vous mangez! »

Mais qui a fait ces astres, cette terre, ces animaux, ces végé- taux, ces germes, dans lesquels un art si merveilleux éclate? Il faut bien que ce soit un sublime artiste; il faut bien que ce soit une intelligence prodigieusement au-dessus de la nôtre, puisqu'elle a fait ce que nous pouvons à peine comprendre; et cette intelli- gence, cette puissance, c'est ce que j'appelle Dieu.

Je m'arrête à ce mot. La foule et la suite de mes idées produi- raient un volume au lieu d'une lettre. Je vous envoie ce petit

1. Saint Paul, I. Corinlh., xv, 30; saint Jean, xii, 2i.

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