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ET DE SA FEMME.

aujourd’hui la révision du procès. Ils se sont fondés, comme on l’a déjà dit[1] sur la consultation de treize avocats, et sur celle du célèbre professeur Louis.

Voilà tout ce que je sais de cette horrible aventure, qui exciterait les cris de toute la France si elle regardait quelque famille considérable par ses places ou par son opulence, et qui a été longtemps inconnue parce qu’elle ne concerne que des pauvres.

On peut espérer que cette famille obtiendra la justices qu’elle implore ; c’est l’intérêt de toutes les familles : car, après tant de tragiques exemples, quel homme peut s’assurer qu’il n’aura pas de parents condamnés au dernier supplice, ou que lui-même ne mourra pas sur un échafaud ?

Si deux époux qui dorment dans l’antichambre de leur mère tandis qu’elle tombe en apoplexie sont condamnés comme des parricides, malgré la sentence des premiers juges, malgré les conclusions du procureur général, malgré le défaut absolu de preuves et l’invariable dénégation des accusés, quel est l’homme qui ne doit pas trembler pour sa vie ? Ce n’est pas ici un arrêt rendu suivant une loi rigoureuse et durement interprétée ; c’est un arrêt arbitraire prononcé au mépris des lois et de la raison. On n’y voit d’autre motif, sinon celui-ci : « Mourez, parce que telle est ma volonté. »

La France se flatte que le chef de la magistrature[2], qui a réformé tant de tribunaux, réformera dans la jurisprudence elle-même ce qu’elle peut avoir de défectueux et de funeste.

Peut-être l’usage affreux de la torture, proscrit aujourd’hui chez tant de nations, ne sera-t-il plus pratiqué que dans ces crimes d’État qui mettent en péril la sûreté publique.

Peut-être les arrêts de mort ne seront evécutés qu’après un compte rendu au souverain ; et les juges ne dédaigneront pas de motiver leurs arrêts[3], à l’exemple de tous les autres tribunaux de la terre.

[4]On pourrait présenter une longue liste des abus inséparables de la faiblesse humaine qui se sont glissés dans le recueil

  1. Voyez ci-dessus, page 429.
  2. Maupeou.
  3. Depuis la Révolution, les arrêts et jugements doivent être tous motivés, sous peine de nullité.
  4. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1774, au lieu de cet alinéa, on lisait :

    « Peut-être les lois militaires n’ordonneront-elles plus aux soldats d’assassiner à coups de fusil leurs camarades qui, s’étant engagés par imprudence et par séduction, sont retournés chez eux exercer leurs métiers et cultiver le petit champ de leurs pères. Il se pourra qu’on rende un jour la profession de soldat si honorable qu’on ne sera plus tenté de déserter.

    « Il se pourra qu’on se défasse un jour de la coutume d’étrangler une jeune fille qui aura volé un tablier d’un écu à sa maîtresse, non-seulement parce que son supplice coûte trois à quatre cents écus pour le moins, mais parce qu’il n’y a pas de proportion entre un méchant tablier et une créature humaine qui peut donner des enfants à l’État.

    « Il se pourra qu’on abolisse quelques lois absurdes et contradictoires, dictées par un besoin passager, ou dans des temps de troubles ou dans des temps d’ignorance.

    « Mais ce n’est pas à nous, etc. »

    La version actuelle est celle de 1771.