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PROCÈS CRIMINEL DE MONTBAILLI

déjà jetée dans plusieurs accidents qui faisaient craindre pour sa vie. Son fils Montbailli et sa femme Danel couchaient dans l’antichambre de la mère ; tous trois subsistaient d’une manufacture de tabac que la veuve avait entreprise. C’était une concession des fermiers généraux qu’on pouvait perdre par sa mort, et un lien de plus qui attachait les enfants à sa conservation ; ils vivaient ensemble, malgré les petites altercations si ordinaires entre les jeunes femmes et leurs belles-mères, surtout dans la pauvreté. Ce Montbailli avait un fils, autre raison plus puissante pour le détourner du crime. Sa principale occupation était la culture d’un jardin de fleurs, amusement des âmes douces. Il avait des amis ; les cœurs atroces n’en ont jamais.

Le 27 juillet 1770, une ouvrière se présente à sept heures du matin à sa porte pour parler à la veuve. Montbailli et son épouse étaient couchés ; la jeune femme dormait encore (circonstance essentielle qu’il faut bien remarquer). Montbailli se lève, et dit à l’ouvrière que sa mère n’est pas éveillée. On attend longtemps ; enfin on entre dans la chambre, on trouve la vieille femme renversée sur un petit coffre près de son lit, la tête penchée à terre, l’œil droit meurtri d’une plaie assez profonde, faite par la corne du coffre sur lequel elle était tombée, le visage livide et enflé, quelques gouttes de sang échappées du nez, dans lequel il s’était formé un caillot considérable. Il était visible qu’elle était morte d’une apoplexie subite, en sortant de son lit et en se débattant. C’est une fin très-commune dans la Flandre à tous ceux qui boivent trop de liqueurs fortes.

Le fils s’écrie : Ah, mon Dieu ! ma mère est morte ! Il s’évanouit ; sa femme se lève à ce cri, elle accourt dans la chambre.

L’horreur d’un tel spectacle se conçoit assez. Elle crie au secours ; l’ouvrière et elle appellent les voisins. Tout cela est prouvé par les dépositions. Un chirurgien vient saigner le fils ; ce chirurgien reconnaît bientôt que la mère est expirée. Nul doute, nul soupçon sur le genre de sa mort ; tous les assistants consolent Montbailli et sa femme. On enveloppe le corps sans aucun trouble ; on le met dans un cercueil, et il doit être enterré le 29 au matin, selon les formalités ordinaires.

Il s’élève des contestations entre les parents et les créanciers pour l’apposition du scellé. Montbailli le fils est présent à tout ; il discute tout avec une présence d’esprit imperturbable et une affliction tranquille que n’ont jamais les coupables.

Cependant quelques personnes du peuple, qui n’avaient rien vu de tout ce qu’on vient de raconter, commencent à former des