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PROCÈS CRIMINEL DE MONTBAILLI.

mort des sottises sans conséquence qu’il avait dites dans un souper.

N’est-il pas bien permis, que dis-je ! bien nécessaire d’avertir souvent les hommes qu’ils doivent ménager le sang des hommes ? On répète tous les jours des vérités qui ne sont de nulle importance ; on avertit plusieurs fois[1] qu’un ex-jésuite, aussi hardi qu’ignorant, s’est grossièrement trompé en affirmant qu’aucun roi de la première race n’eut plusieurs femmes à la fois, en assurant que le roi Henri III n’assiégea point la ville de Livron, etc., etc., etc. On réfute en vingt endroits les calomnies dont un autre ex-jésuite, nommé Patouillet, a souillé des mandements d’évêques. On est forcé à ces répétitions, parce que ce qui échappe à un lecteur est recueilli par un autre ; parce que ce qui est perdu dans une brochure se retrouve dans un livre nouveau. Les écrivains de Port-Royal ont mille fois redoublé leurs plaintes contre leurs adversaires. Quoi ! on aura répété mille fois que les cinq propositions ne sont pas expressément dans Jansénius, dont personne ne se soucie, et on ne répéterait pas des vérités fatales qui intéressent le genre humain ! Je voudrais que le récit de toutes les injustices retentît sans cesse à toutes les oreilles[2]. Je vais donc exposer encore la méprise d’Arras, d’après une consultation authentique de treize avocats, et celle du savant professeur M. Louis[3].

Il ne s’agit que d’une famille obscure et pauvre de la ville de Saint-Omer ; mais le plus vil citoyen massacré sans raison avec le glaive de la loi est précieux à la nation et au roi qui la gouverne.


PROCÈS CRIMINEL
DU SIEUR MONTBAILLI ET DE SA FEMME.

Une veuve nommée Montbailli, du nom de son mari, âgée de soixante ans, d’un embonpoint et d’une grosseur énorme, avait l’habitude de s’enivrer du poison qu’on appelle si improprement eau-de-vie. Cette funeste passion, très-connue dans la ville, l’avait

  1. Voyez tome XXIV, pages 489, 509 ; XXVI, 144, 146, 571.
  2. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, en 1774, au lieu de la dernière phrase de cet alinéa et de l’alinéa suivant, on lisait : « Je ne connais guère d’injustice plus atroce et plus imbécile que celle du tribunal d’Arras, commise contre Montbailli, citoyen de Saint-Omer, et contre sa femme. »
  3. C’est le célèbre chirurgien, qui avait déjà écrit un rapport dans l’affaire Calas, en faveur des accusés.