Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
428
LA MÉPRISE D'ARRAS.

son bien est confisqué ; sa femme s’enfuit en Autriche avec ses petits enfants. Huit jours après, le scélérat qui avait commis le meurtre est supplicié pour d’autres crimes : il avoue, à la potence, qu’il est coupable de l’assassinat pour lequel ce bon père de famille est mort.

[1]Une fatalité singulière fait que je suis instruit de cette catastrophe. J’en écris à un de mes neveux, conseiller au parlement de Paris. Ce jeune homme vertueux et sensible trouve, après bien des recherches, la minute de l’arrêt de la Tournelle, égarée dans la poudre d’un greffe. On promet de réparer ce malheur ; les temps ne l’ont pas permis ; la famille reste dispersée et mendiante dans le pays étranger, avec d’autres familles que la misère a chassées de leur patrie.

Des censeurs me reprochent que j’ai déjà parlé de ces désastres : oui, j’ai peint et je veux repeindre ces tableaux nécessaires, dont il faut multiplier les copies ; j’ai dit[2] et je redis que la mort de la maréchale d’Ancre et celle du maréchal de Marillac sont la honte éternelle des lâches barbares qui les condamnèrent. On doit répéter à la postérité qu’un jeune gentilhomme de la plus grande espérance[3] pouvait ne pas être condamné à la torture, au supplice du poing coupé, de la langue arrachée et de la mort dans les flammes, pour quelques emportements passagers de jeunesse, dont un an de prison l’aurait corrigé ; pour des indiscrétions si secrètes, si inconnues, qu’on fut obligé de les faire révéler par des monitoires, ancienne procédure de l’Inquisition. L’Europe entière s’est soulevée contre cette sentence, et il faut empêcher que l’Europe ne l’oublie.

On doit redire que le comte de Lally[4] n’était coupable ni de péculat ni de trahison. Ses nombreux ennemis l’accusèrent avec autant de violence qu’il en avait déployé contre eux. Il est mort sur l’échafaud : ils commencent à le plaindre.

Plus d’une fois on s’est récrié contre la rigueur du supplice de ce garde du corps qui fut pendu pour s’être fait quelques blessures afin de s’attirer une petite récompense, et de ce malheureux qu’on appelait le fou de Verberie[5] qui fut puni par la

  1. Cet alinéa n’était pas reproduit en 1774.
  2. Tome XIX, page 209.
  3. Voyez tome XXV, page 503, la Relation de la mort du chevalier de La Barre.
  4. Voyez tome XV, pages 359 et suiv.
  5. Voyez la note, tome XX, page 457. Il s’appelait Ringuet (et non Rinquet).