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LA MÉPRISE D’ARRAS.

faut que cent mille voix leur disent qu’ils sont injustes. Cet arrêt, prononcé par la nation, est leur seul châtiment; c’est un tocsin général qui éveille la justice endormie, qui l’avertit d’être sur ses gardes, qui peut sauver la vie à des multitudes d’innocents.

Dans l’aventure horrible des Calas, la voix publique s’est élevée contre un capitoul fanatique[1] qui poursuivit la mort d’un juste, et contre huit magistrats trompés qui la signèrent. Je n’entends pas ici par voix publique celle de la populace qui est presque toujours absurde : ce n’est point une voix, c’est un cri de brutes ; je parle de cette voix de tous les honnêtes gens réunis qui réfléchissent, et qui, avec le temps, portent un jugement infaillible.

[2]La condamnation des Sirven[3] à la mort a fait moins de bruit dans l’Europe, parce qu’elle n’a pas été exécutée; mais tous ceux qui ont appris les conclusions du magister de village nommé Trinquier, chargé des fonctions de procureur du roi dans cette affaire, ont parlé aussi haut que dans l’assassinat juridique des Calas.

Ce Trinquier avait donné ses conclusions en ces propres mots, très- remarquables : « Nous requérons l’accusé dûment atteint et convaincu de parricide, qu’il soit banni pour dix ans de la ville et juridiction de Mazamet. »

Du moins, dans l’énoncé des conclusions de cet imbécile, il n’y avait qu’un excès de ridicule et de bêtise, au lieu que les conclusions du procureur général de Toulouse, dans le procès des Calas, allaient à rouer le fils avec le père, et à brûler la mère toute vive sur les corps de son époux et de son fils. Une mère ! et la mère la plus tendre et la plus respectable !

Cette voix publique prononçait donc avec raison que deux choses sont absolument nécessaires à un magistrat : le sens commun et l’humanité.

Elle était bien forte, cette voix ; elle montrait la nécessité du tribunal suprême du conseil d’État qui juge les justices ; elle réclamait son autorité, alors tellement négligée que l’arrêt du conseil qui justifia les Calas ne put jamais être affiché dans Toulouse.

Quelquefois, et peut-être trop souvent, au fond d’une province, des juges prodiguaient le sang innocent dans des supplices

  1. Nommé David ; voyez tome XXIV, pages 393 et suiv., 405.
  2. Cet alinéa et les deux qui suivent ne furent pas, en 1774, reproduits dans les Questions sur l’Encyclopédie.
  3. Voyez tome XXV, page 517.