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lettre de cachet. Eh ! qu'osent-ils proposer à des magistrats ! De vous obéir, de remplir un devoir personnel, un devoir auquel ils se sont consacrés par un vœu, par un serment absolu ? Mais, sire, des magistrats peuvent-ils reconnaître des ordres particuliers ? Vos volontés sont-elles même vos volontés avant que vos cours les aient jugées et vérifiées ? Est-il un serment dont un particulier ne soit délié dès qu’il est devenu membre d'une compagnie ?

Le même esprit de despotisme a présidé à tous les événements qui ont suivi cette funeste nuit. On vous inspire de juger un corps qui n'avait de juge que lui-même ; on vous présente comme notoires des faits qui n'étaient connus que du public, et on qualifie de refus de reprendre ses fonctions la cessation absolue et constante de toutes fonctions ; juge incompétent, procédures illégales, jugement plus illégal encore, et dans sa forme, et dans la signification nocturne qui en fut faite : toutes les irrégularités ont été accumulées à la fois pour anéantir et le parlement et les lois. Mais, sire, les lois et le parlement briseront la verge de la tyrannie ; et plus on cherche à étendre votre puissance, plus on rapproche le terme où elle doit finir.

Nous l'attestons à Votre Majesté ; tous les suppôts de la gabelle l'attesteront avec nous : il ne se rencontrera point d'homme assez vil pour se montrer sur ce tribunal abandonné, si ce n'est peut-être des faux-sauniers échappés des galères, ou prêts à y entrer. L'honneur public résiste à cette affreuse idée, et, dans ce siècle heureux, vous trouverez, sire, des sujets qui sauront vous combattre, et aucun qui ose affronter la honte de vous obéir.

Rentrez donc, sire, dans votre cœur, et ne consultez que cette bonté qui vous est propre, et qui fut dans tous les temps l'espérance et le soutien de vos cours dans leurs nobles entreprises. Abandonnez-vous à cette tutelle légale qui sera la sauvegarde la plus sûre du trône et de Votre Majesté. Emmaillotté dans les langes des formes et des procédures, vous ne voudrez alors que ce que la loi voudra, et la loi ne voudra que ce que voudront vos parlements et vos greniers à sel. Nous serons votre conseil, votre organe, et votre bras. Soumis et respectueux, nous concilierons le zèle avec l'obéissance, nous éclairerons l'autorité sans la combattre ; et Votre Majesté, qui a déjà reçu de ses peuples le nom glorieux de Bien-aimé[1] devra encore à la magistrature le nom plus précieux de débonnaire.

  1. Voyez tome XXIII, page 268.