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fondamentales. Vos parlements, sire, étonnés à la vue des suites terribles de votre édit du mois de novembre 1770, n’ont osé sonder la plaie que cet acte illégal a faite à la constitution de l’État; ils n’ont jeté qu’un coup d’œil oblique sur la loi de la succession à la couronne, que cet édit menace des plus funestes atteintes, et ils ont été effrayés à l’idée seule du sceptre transporté dans des mains étrangères. Mais de quelle douleur eussent-ils été pénétrés s’ils eussent envisagé comme nous toute l’étendue des malheurs dont la génération présente est déjà la victime ! La loi salique, sire, cette loi qui fixe la couronne dans votre auguste maison, n’est pas la seule loi fondamentale; il est d’autres droits, il est une autre loi salique[1] presque aussi ancienne que les parlements, consacrée par le sang et les larmes de vos sujets, et maintenue, jusqu’à nos jours, par des échafauds et des potences. Cette loi, sire, nous en sommes les dépositaires, et c’est à nous de veiller à ce que ce précieux dépôt ne nous soit enlevé, ou ne souffre la plus légère altération. Mais si votre édit de 1770 subsiste ; si le despotisme, à l’appui de cet édit, s’assied sur le trône à côté de Votre Majesté, qui pourra garantir cette loi des plus funestes atteintes ? Elle n’a que nous, sire, pour défenseurs; et des ennemis nombreux travaillent à chaque instant à la détruire. Que la loi de la succession soit menacée, tous les Français s’élèveront pour la soutenir; ils iront, les armes à la main, la sauver des entreprises des usurpateurs, comme ils l’ont sauvée tant de fois, et des arrêts des parlements, et des invasions d’un ennemi étranger. D’ailleurs, pour qu’elle soit violée, il faut qu’il se rencontre un autre Charles VI; qu’une reine atroce, une mère dénaturée, un traître comme le duc de Bourgogne, conspirent avec un parlement corrompu ; il faut que le fanatisme de la religion ou de l’incrédulité s’arme contre le trône, comme autrefois contre l’immortel Henri IV, Encore, sire, tous ces efforts seraient impuissants, et vos peuples, toujours fidèles au sang de leurs rois, braveront, pour le défendre, et les arrêts et les censures, et les cris et les fureurs du fanatisme. Mais notre loi salique est exposée à des coups d’autant plus sûrs, d’autant plus inévitables, qu’elle n’a jamais régné sur le cœur de vos sujets, qu’elle n’est point liée avec l’intérêt de Votre Majesté, qu’un ennemi adroit peut, en la détruisant, se faire adorer d’un peuple séduit, et faire bénir la main qui aura fait à la constitution la plus mortelle

  1. Cette loi salique a été reconnue solennellement sous Philippe de Valois. (Note de Voltaire.)