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AVERTISSEMENT.

tions : la première, que ces droits soient bien fondés ; la seconde, que le dédommagement n'excède point leur produit réel.

Il parait que la simple jouissance ne doit point ici former une prescription, comme lorsqu'il s'agit d'une propriété réelle, ou même de ces droits de dîme féodale, de champart, etc., qui sont évidemment les réserves d'un propriétaire sur le fonds qu'il abandonne. La forme des droits de mainmorte semble annoncer l'abus de la force ; ainsi cette présomption de la légitimité du droit qu'on fonde sur la jouissance, loin d'être ici en faveur du possesseur, est contre lui. On doit donc, quelque longue qu'ait été la possession, exiger des titres.

Quant à la méthode d'évaluer ces droits, les uns sont annuels, comme les corvées féodales ; et, dans ce cas, l'évaluation est facile à faire : cinq jours de corvée par année équivalent à environ la soixante-douzième partie du travail, et par conséquent du produit de la terre ; une dîme d'un soixante-douzième les remplacerait. Les autres droits sont éventuels, et quelques-uns dépendent, jusqu'à un certain point, de la volonté de ceux qui y sont soumis : ceux-là ne peuvent s'évaluer que par le calcul des probabilités. Mais il ne pourrait y avoir de difficultés que dans la théorie, et les géomètres ne sauraient donner à la méthode d'évaluer la marche facile et simple qu'exige la pratique.

Il y a enfin quelques droits qui sont contraires au bon sens, comme celui d'hériter des meubles d'un étranger qui a vécu un an et un jour sur la terre mainmortable, même sans y posséder de terrain soumis à la mainmorte ; comme celui qui accorde un droit au seigneur sur les biens que son serf peut avoir acquis dans un autre pays : ceux-là peuvent être abolis sans aucun dédommagement, puisqu'il est clair que le seigneur ne peut avoir de droit dans aucun cas que sur ce qu'un propriétaire de son terrain possède dans l'étendue de sa seigneurie.

Tels seraient encore des impôts qui se percevraient en argent pour la permission de se marier, pour celle de coucher avec sa femme la première nuit de ses noces, le rachat des droits de cuissage, jambage, etc. ; de tels tributs ne peuvent ni représenter un impôt, ni être les conditions légitimes d'une cession de propriété : ils sont évidemment un abus de la force, et le souverain serait même plus que juste envers ceux qui en jouissent, en se bornant à les abolir sans exiger d'eux ni restitution ni dédommagements.

En parlant ici des dédommagements dus aux seigneurs, on sent que nous entendons les seigneurs laïques seulement. Les hommes sont trop éclairés de nos jours pour ignorer que les biens ecclésiastiques ne sont pas une vraie propriété, mais une partie du domaine public dont la libre disposition ne peut cesser d'appartenir au souverain.

Dans le projet d'édit dressé par le premier président de Lamoignon, on ne trouve aucune distinction entre les seigneurs laïques et les seigneurs ecclésiastiques : dans le siècle superstitieux qui a précédé le nôtre, on regardait les biens ecclésiastiques comme une vraie propriété, plus sacrée même que celle des citoyens. M. de Lamoignon propose de racheter les droits de mainmorte par un droit éventuel uniforme : cette disposition peut conduire à des injustices, non-seulement à l'égard des seigneurs, mais surtout à l'égard des