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DE LOUIS XIV.

A-t-il la scélératesse non moins extravagante d'imputer [1] au régent de France des actions que les plus vils des hommes ne regardent aujourd'hui (grâce à mes soins peut-être) que comme des rêveries dignes du mépris le plus profond ; j'ai dû faire rentrer dans le néant cette exécrable imposture.

A-t-il dit [2] que le président de Maisons (dont le fils, mon intime ami, est mort entre mes bras) était premier président quand le duc d'Orléans fut déclaré régent, et qu'il faisait une cabale contre ce prince ; j'ai dû faire apercevoir que jamais ce magistrat ne fut premier président [3], et apprendre au public que, loin de vouloir priver le prince de son droit, ce fut lui qui arrangea tout le plan de la régence.

J'ai dû confondre toutes les calomnies vomies par ce malheureux contre la famille royale, contre les meilleurs ministres, et contre les hommes du royaume les plus respectables. Pourquoi ? Parce que ces impostures se vendent longtemps dans les pays étrangers, et beaucoup mieux que de bons livres ; parce qu'elles vont à Leipsick, à Berlin, où un héros [4] ne parle que français ; à Hambourg, à Dantzick, à Moscou, à Jassi ; parce que tous ceux qui lisent en Europe entendent le français, jusqu'à des Turcs : nos grands hommes ayant porté notre langue aussi loin que l'impératrice de Russie porte ses armes et ses lois. Voilà ce qu'on ne sait pas dans les soupers de Paris ; on dit : Il a tort de relever des sottises si méprisables ; non, il n'a pas tort : prenez une carte géographique, voyez que l'univers n'est pas borné à votre quartier ; concluez qu'on peut parler à d'autres hommes qu'à vous, et qu'on doit venger votre patrie et les grands hommes qui ont bien mérité d'elle.

Plus de cent histoires modernes ont été compilées sur des journaux remplis de nouvelles impertinences, semblables à ces mensonges imprimés dont je parle. Peut-être un jour ces histoires passeront pour authentiques. Celui qui consacrerait son travail à prévenir le public contre cette foule d'impostures élèverait un monument utile. Ce serait le serpent d'airain qui guérirait les morsures des vrais serpents. Si j'ai pris la liberté de

  1. Mémoires de Maintenon, tome III, page 346 et suivantes de l'édition de l'Histoire de Louis XIV, falsifiée par lui, et chargée de notes infâmes, chez Esslinger, à Francfort. (Note de Voltaire.) — Voltaire a toujours pris la défense du régent ; voyez la note, tome XII, page 37.
  2. Mémoires de Maintenon, tome V, page 228 (Note de Voltaire.)
  3. Voyez tome XXVI, page 166.
  4. Frédéric II, roi de Prusse.