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DE LOUIS XIV.

heureux et les malheureux ; une autre jalousie plus furieuse encore, celle du commandement, qui est si souvent accompagnée de l'insolence, de la perfidie, des plus noires intrigues, et des plus fatales impostures.

Les vaisseaux de l'Inde partaient moins chargés de marchandises que de délateurs, de calomniateurs, de faux témoins, de procès-verbaux signés par le mensonge dans l'Inde, et soutenus par la corruption en France, Il en coûta quatre ans de liberté au vainqueur de Madras, à un homme d'un rare mérite, à ce La Bourdonnaie [1] qui seul avait vengé l'honneur du pavillon français dans les mers de l'Inde. Il en a coûté la vie au lieutenant général Lally, qui, du jour qu'il aborda dans Pondichéry pour y mettre l'ordre et y rétablir le service, eut dix fois plus d'ennemis dans la ville qu'il n'avait d'Anglais à combattre : brave homme sans doute, jacobite jusqu'au martyre, implacable contre les Anglais, attaché à la France par passion [2] ; sa fatale catastrophe est aujourd'hui confondue avec tant d'autres qui font inutilement frémir la nature humaine, et que Paris oublie le lendemain pour des plaisirs souvent ridicules, et bientôt oubliés aussi.

Quel fut depuis le sort de la compagnie ? Des procès contre des citoyens qui avaient combattu pour elle, des dettes immenses avec l'impuissance de payer, la ressource inutile des loteries, le désir et l'incapacité de se soutenir. Elle avait été la seule compagnie dans l'univers qui eût commercé pendants près de cinquante années sans jamais partager, entre les actionnaires, le moindre profit, le moindre soulagement produit par son commerce.

Tout ce que je sais, c'est que la compagnie anglaise partage actuellement cinq et demi pour cent pour les six mois courants.

A l'égard de celle de Hollande, c'est une grande puissance

  1. Voyez tome XV, page 331.
  2. Ce qui suit est de 1775. En 1769 et 1772 on lisait :

    « Je l'ai connu tel et très-intimement, et dans des temps critiques ; mais dur, je l'avoue, emporté, insociable, jaloux des immenses fortunes acquises dans l'Inde par la rapine, furieux contre tous ceux auxquels il commandait, parce que tous étaient acharnés contre lui. Enfin, pris à discrétion par les Anglais vainqueurs, transporté avec ses détracteurs, revenu en France avec eux comme un ours poursuivi toujours par les mêmes chiens, jugé par les hurlements réunis de ceux qui l'auraient exécuté de leurs mains mêmes ; condamné parce qu'on ne peut prononcer que sur des dépositions, il succomba, et donna un fatal et hideux spectacle au peuple de Paris : on le plaignit alors, mais après l'avoir détesté. Il ne se trouva pas dans toute sa fortune de quoi payer l'amende à laquelle il fut condamné ; mais bientôt cette horrible aventure fut confondue avec, etc. »