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DÉFENSE

noncé que c'est une grande faute ; il en fit l'aveu en mourant. Il ne faut pas charger de reproches ceux qui ont eu la gloire de se repentir.

Le public en général est plus éclairé qu'il ne l'était. Servons-nous donc de nos lumières pour voir les choses sans passion et sans préjugés.

Louis XIV veut réformer les lois : elles en avaient certes besoin. Il choisit pour cette sage entreprise les magistrats les plus éclairés du royaume. Ce n'est pas sa faute s'ils ont conservé des usages barbares, et si les avis aussi humains que judicieux du président de Lamoignon n'ont pas été suivis ; on s'en rapporta toujours à la pluralité des voix, et l'on ne pouvait guère en agir autrement. Que reste-t-il à faire aujourd'hui pour achever ce grand ouvrage de Louis XIV ? De trouver des Lamoignon [1] qui nettoient nos lois de la rouille ancienne de la barbarie.

Quelques personnes ne cessent, depuis plusieurs années, de critiquer l'administration du célèbre Colbert. Il est condamné dans plus de vingt volumes pour n'avoir pas rendu le commerce des grains entièrement libre  ; mais les censeurs se souviennent-ils que le duc de Sully fit la même défense depuis 1598 ? Il craignait le transport des blés hors du royaume ; il avait fait l'expérience de l'impétuosité française, dans qui l'avidité du gain présent l'emportait souvent sur la prévoyance. Il voyait une nation exposée à souffrir la faim pour avoir outré la vente du blé dans l'espérance d'une nouvelle récolte heureuse.

Depuis ce temps la défense subsista toujours jusqu'à l'année 1764, où le conseil du roi régnant a jugé, pour le bonheur de la nation, devenue plus éclairée, qu'il faut encourager la sortie des blés avec les tempéraments convenables.

Il me semble qu'on ne doit pas attaquer légèrement la mémoire d'un homme tel que Colbert. Il ne faut pas dire qu'il a sacrifié la culture des terres à l'esprit mercantile. Ses vues étaient certainement grandes et nobles sur la marine et sur le commerce qu'il créa en France. L'épithète de mercantile ne convient pas plus au génie de ce ministre, que celle d'aigrefin à un général d'armée.

Qu'il me soit permis de rapporter ici ce qu'on a pu déjà lire dans le Siècle de Louis XIV [2]. « Colbert arriva au maniement des finances avec de la science et du génie ; commença, comme Sully,

  1. Dans les éditions de 1769 et 1772, on lit : « qui travaillent avec des Maupeou et qui nettoient, etc. »
  2. Chapitre XXX ; voyez tome XIV, page 519.