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OU LES LOUANGES DE DIEU.

inventèrent la belle fable de Pandore. D'autres (plus philosophes peut-être, en paraissant ne l'être pas) mirent Jupiter entre deux tonneaux, versant le bien goutte à goutte, et le mal à plein canal. On imagina des androgynes qui, possédant les deux sexes à la fois, devinrent fort insolents, et furent, pour leur châtiment, séparés en deux. Les Indiens écrivirent dans leur Shasta [1] qui subsiste depuis cinq mille ans dans la langue du Hanscrit entre les mains des Brames, que des anges, des génies, se révoltèrent dans le ciel contre Dieu. Les Syriens [2] disaient que notre planète n'était pas faite originairement pour être habitée par des gens raisonnables ; mais que, parmi les citoyens du ciel, il se trouva deux gourmands, mari et femme, qui s'avisèrent de manger une galette. Pressés ensuite d'un besoin qui est la suite de la gourmandise, ils demandèrent à un des principaux domestiques de l'empyrée où était la garde-robe. Celui-ci leur répondit : « Voyez-vous la terre, ce petit globe qui est à mille millions de lieues ? C'est là qu'est le privé de l'univers. » Ils y allèrent, et Dieu les y laissa pour les punir.

Quelques autres Asiatiques rapportent que Dieu, ayant formé l'homme, lui donna la recette de l'immortalité bien écrite sur du beau vélin ; l'homme en chargea son âne avec d'autres petits meubles, et se mit à courir le monde. Chemin faisant, l'âne rencontra le serpent, et lui demanda s'il n'y avait pas dans les environs quelque fontaine où il pût boire : le serpent le conduisit avec courtoisie ; mais, tandis que l'âne buvait, et que l'homme était éloigné, le serpent vola la recette : il y lut le secret de changer de peau, ce qui le rendit immortel, selon l'idée commune de l'Asie, L'homme garda sa peau, et fut sujet à la mort.

Les Égyptiens, et surtout les Persans, reconnurent un dieu diable, ennemi du dieu favorable, un Typhon, un Arimane, un Satan, un mauvais principe qui se plaisait à gâter tout ce que le bon principe faisait de bien. Cette idée était prise de ce qui se passait tous les jours chez les pauvres humains. Nous sommes presque toujours en guerre. Le chef d'une nation ruine tant qu'il peut tout ce que le chef de la nation opposée a pu faire d'utile. Laomédon bâtit une belle ville, Agamemnon la détruit ; c'est l'histoire du genre humain. Les hommes ont toujours transporté dans le ciel toutes les sottises de la terre, soit sottises atroces, soit sottises ridicules. La doctrine de Zoroastre et celle de Manès

  1. Voyez tome XVII, page 246 ; et, plus loin, la neuvième des Lettres chinoises.
  2. Voyez tome XVII, page 583.