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DE L’EMPEREUR JULIEN.

mun de tous les hommes[1] ; qu’il a distribué toutes les nations à des dieux, à qui il en a commis le soin particulier, et qui les gouvernent de la manière qui leur est la meilleure et la plus convenable : car dans le Dieu suprême, dans le Père, toutes les choses sont parfaites et unes ; mais les dieux créés agissent, dans les particulières qui leur sont commises, d’une manière différente. Ainsi Mars gouverne les guerres dans les nations. Minerve leur distribue et leur inspire la prudence. Mercure les instruit plutôt de ce qui orne leur esprit que de ce qui peut les rendre audacieuses. Les peuples suivent les impressions et les notions qui leur sont données par les dieux qui les gouvernent. Si l’expérience ne prouve pas ce que nous disons, nous consentons que nos opinions soient regardées comme des tables, et les vôtres comme des vérités. Mais si une expérience toujours uniforme et toujours certaine a vérifié nos sentiments et montré la fausseté des vôtres, auxquels elle n’a jamais répondu, pourquoi conservez-vous une croyance aussi fausse que l’est la vôtre ? Apprenez-nous, s’il est possible, comment les Gaulois et les Germains sont audacieux, les Grecs et les Romains policés et humains, cependant courageux et belliqueux. Les Égyptiens sont ingénieux et spirituels ; les Syriens, peu propres aux armes, sont prudents, rusés, et dociles. S’il n’y a pas une cause et une raison de la diversité des mœurs et des inclinations de ces nations, et qu’elle soit produite par le hasard[2] il faut nécessairement en conclure qu’aucune providence ne gouverne le monde. Mais si cette diversité si marquée est toujours la même et est produite par une cause, qu’on m’apprenne d’où elle vient, si c’est directement par le Dieu suprême.

Il est constant qu’il y a des lois établies chez tous les hommes, qui s’accordent parfaitement aux notions et aux usages de ces

  1. Virgile, Æn., X, 743.
  2. J’oserais n’être pas entièrement ici de l’avis de l’empereur Julien. Il me semble que ce n’est pas dans les caractères différents des peuples qu’on doit chercher les grandes preuves de la providence générale de l’Être suprême. On pourrait dire qu’un Romain et un Scythe diffèrent non-seulement par le climat, mais surtout par leur gouvernement et leur éducation. Ces deux causes qui rendirent autrefois ces deux nations respectables ayant absolument changé, les peuples ont changé aussi. La Providence générale éclate, ce me semble, dans les lois immuables qu’elle a prescrites à la nature, dans la profonde géométrie avec laquelle l’univers est arrangé, dans le mécanisme inimitable des corps organisés, dans le prodige sans cesse renaissant des générations, dans le nombre prodigieux des moyens certains qui opèrent des fins certaines. Voilà ce que les juifs et les chrétiens ignoraient, et ce que les philosophes ne savaient que très-confusément. (Note de Voltaire.)