Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
DISCOURS

ment le Dieu des Hébreux, ou l’était-il aussi des nations ? Certainement il l’était des nations. » Il est donc naturel de demander à Paul pourquoi, si Dieu a été non-seulement le Dieu des Juifs, mais aussi celui des autres peuples, il a comblé les Juifs de biens et de grâces, il leur a donné Moïse, la loi, les prophètes, et fait en leur faveur plusieurs miracles, et même des prodiges qui paraissent fabuleux. Entendez les Juifs, ils disent : « L’homme a mangé le pain des anges[1]. » Enfin Dieu a envoyé aux Juifs Jésus, qui ne fut, pour les autres nations, ni un prophète, ni un docteur, ni même un prédicateur de cette grâce divine et future, à laquelle à la fin ils devaient avoir part. Mais avant ce temps il se passa plusieurs milliers d’années, où les nations furent plongées dans la plus grande ignorance, rendant, selon les Juifs, un culte criminel au simulacre des dieux. Toutes les nations qui sont situées sur la terre, depuis l’orient à l’occident, et depuis le midi jusqu’au septentrion, excepté un petit peuple habitant depuis deux mille ans une partie de la Palestine, furent donc abandonnées de Dieu. Mais comment est-il possible, si ce Dieu est le nôtre comme le vôtre, s’il a créé également toutes les nations, qu’il les ait si fort méprisées et qu’il ait négligé tous les peuples de la terre ? Quand même nous conviendrions avec vous que le Dieu de toutes les nations a eu une préférence marquée pour la vôtre, et un mépris pour toutes les autres, ne s’ensuivra-t-il pas de là que Dieu est envieux, qu’il est partial ? Or comment Dieu peut-il être sujet à l’envie, à la partialité, et punir, comme vous le dites, les péchés des pères sur les enfants innocents ? Est-il rien de si contraire à la nature divine, nécessairement bonne par son essence ?

Mais considérez de nouveau ces choses chez nous. Nous disons que le Dieu suprême, le Dieu créateur, est le roi et le père com-

  1. Ce passage, dont l’empereur se moque avec tant de raison, est tiré du psaume lxxvii, v. 25. Ces psaumes sont un recueil d’hymnes qui ne sont qu’un éternel galimatias. On n’y voit que des montagnes qui reculent ou qui bondissent [ps. cxiii, 4], la mer qui s’enfuit [ibid., 3] avec la lune, le Seigneur qui aiguise ses flèches [ps. xliv, 3], qui met son épée sur sa cuisse. Et le but, le fond de presque tous ces hymnes, est d’exterminer ses voisins, d’éventrer les femmes, et d’écraser contre les murs les enfants à la mamelle [ps. cxxxvi, 9].

    Voici le passage dont il s’agit : « Et il envoya aux nuées d’en haut, et il ouvrit les portes du ciel, et la manne plut pour manger, et il leur donna le pain du ciel, et l’homme mangea le pain des anges. » Cela prouve manifestement que ces idiots reconnaissaient les anges corporels, mangeant, buvant, et engendrant comme les hommes. Les livres juifs disent très-souvent que les anges mangèrent, que les anges couchèrent avec les filles des hommes, qu’ils firent naître des géants, etc. (Note de Voltaire.)