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SOUVENIRS

Je m’attachai, malgré les remontrances de Mme de Maintenon, à Madame la Duchesse (a). Elle eut beau me dire qu’il ne fallait rendre à ces gens-là que des respects, et ne s’y jamais attacher ; que les fautes que Madame la Duchesse ferait retomberaient sur moi, et que les choses raisonnables qu’on trouverait dans sa conduite ne seraient attribuées qu’à elle : je ne crus pas Mme de Maintenon, mon goût l’emporta ; je me livrai tout entière à Madame la Duchesse, et je m’en trouvai mal [1].

La guerre recommença, en 1688, par le siège de Philisbourg, et le roi d’Angleterre fut chassé de son trône l’hiver d’après. La reine d’Angleterre se sauva la première avec le prince de Galles, son fils. La fortune singulière de Lauzun fit qu’il se trouva précisément en Angleterre dans ce temps-là. On lui sait gré d’avoir contribué à une fuite à laquelle le prince d’Orange n’aurait eu garde de s’opposer. Le roi cependant l’en récompensa comme d’un grand service rendu aux deux couronnes. A la prière du roi et de la reine d’Angleterre, il le fit duc, et lui permit de revenir à la cour où il n’avait paru qu’une fois après sa prison [2]. Monsieur le Prince, en le voyant, dit que c’était une bombe qui tombait sur tous les courtisans [3].

La reine d’Angleterre s’était fait haïr, disait-on, par sa hauteur autant que par la religion, qu’elle professait en Italienne : c’est-à-dire qu’elle y ajoutait une infinité de petites pratiques jésuitiques, inutiles partout, et beaucoup plus mal placées en Angleterre qu’ailleurs ; cette princesse avait pourtant de l’esprit et de bonnes qualités, qui lui attirèrent de la part de Mme de Maintenon une estime et un attachement qui n’a fini qu’avec leurs vies [4].

Pendant une autre campagne les dames suivirent le roi en partie : c’est-à-dire Mme la duchesse d’Orléans, Mme la princesse de Conti, et Mme de Maintenon. Madame la Duchesse ne suivit pas, parce qu’elle était grosse : elle demeura à Versailles, et quoique je le fusse aussi, ce qui m’empêcha de suivre Mme de Maintenon, on ne me permit pas de demeurer avec elle. Mme de Maintenon m’envoya, avec Mme de Montchevreuil, à Saint-Germain, où je m’ennuyai comme on peut croire. Il arriva qu’un jour, étant allée rendre une visite à Madame la Duchesse, je lui parlai de mon ennui, et lui fis sans doute des portraits vifs de Mme de Montchevreuil et de sa dévotion, qui lui firent

  1. Sa liaison avec le duc de Villeroi éclata ; mais cet amant était un homme plein de vertu, bienfaisant, modeste, et le meilleur choix que Mme de Caylus pût faire.
  2. Trop dure, trop longue, trop injuste.
  3. La bombe n'éclata sur personne.
  4. Ce fut Mme de Maintenon qui engagea Louis XIV, malgré tout le conseil, à reconnaître le prétendant pour roi d’Angleterre.

    (a) De Bourbon.