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DISCOURS

amplement de la création du ciel et de la terre, des choses qui les ornent et qui y sont contenues ? Remarquons ici que Moïse dit que Dieu ordonna que plusieurs choses fussent faites, comme le jour, la lumière, le firmament ; qu’il en fit plusieurs lui-même, comme le ciel, la terre, le soleil, la lune, et qu’il sépara celles qui existaient déjà, comme l’eau et l’aride. D’ailleurs Moïse n’a osé rien écrire ni sur la nature ni sur la création de l’esprit[1]. Il s’est contenté de dire vaguement qu’il était porté sur les eaux. Mais cet esprit porté sur les eaux était-il créé, était-il incréé ?

Comme il est évident que Moïse n’a point assez examiné et expliqué les choses qui concernent le Créateur et la création de ce monde, je comparerai les différents sentiments des Hébreux et de nos pères sur ce sujet. Moïse dit que le Créateur du monde choisit pour son peuple[2] la nation des Hébreux, qu’il eut pour

  1. L’empereur semble confondre ici l’idée de vent, de souffle, avec l’idée de l’âme. L’esprit de Dieu était porté sur les eaux signifie le vent de Dieu, le souffle de Dieu était porté sur les eaux. Ce vent est un des attributs de l’ancien chaos. Les Hébreux disaient vent de Dieu, montagne de Dieu, pour exprimer grand vent, grande montagne ; fils de Dieu, pour exprimer un homme puissant ou juste. Ce grand vent porté sur les eaux augmentait encore l’horreur du chaos. Cette idée du chaos était prise de l’ancienne cosmogonie des Phéniciens, qui précédèrent les Juifs de tant de siècles, et qui furent même très-antérieurs aux Grecs, puisqu’ils leur enseignèrent l’alphabet. Les mots grecs chaos et érèbe sont originairement phéniciens. Sanchoniathon appelle le chaos chaut-éreb, confusion et nuit. (Note de Voltaire.)
  2. Ce que dit ici l’empereur Julien est digne de son esprit juste et de son cœur magnanime. Rien n’est plus bas et plus ridicule que d’imaginer l’Être suprême, le Dieu de la nature entière, uniquement occupé d’une horde de brigands et d’usuriers, et oubliant pour elle tout le reste de la terre. Il faut convenir que du moins il n’oubliait pas les Persans et les Romains, quand sa providence punissait par eux, et exterminait ou chargeait de fers ce peuple abominable.

    Mais il faut aussi considérer que ce peuple n’eut jamais un système de théologie suivi et constant ; et quelle religion a jamais eu un système fixe ? Dans cent passages des livres juifs, vous trouvez un Dieu universel qui commande à toute la terre ; dans cent autres passages, vous ne trouvez qu’un dieu local, un dieu juif qui combat contre un dieu philistin, contre un dieu moabite, comme les dieux de Troie, dans Homère, combattent contre les dieux de la Grèce.

    Jephté dit aux Ammonites, chap. xi, v. 24, des Juges : « Ne possédez-vous pas de droit ce que votre dieu Chamos vous a donné ? Souffrez donc que nous possédions la terre que notre dieu Adonaï nous a promise. » Jérémie, ch. xlix, v. 1, demande : « Quelle raison a eue le dieu Melchom pour s’emparer du pays de Gad ? » Il est donc évident que les Juifs reconnaissaient Melchom et Chamos pour dieux. Aussi représentent-ils toujours leur dieu phénicien Adoni ou Adonaï comme jaloux des autres dieux. Tantôt ils le disent plus puissant que les dieux voisins, tantôt ils le disent plus faible. Sont-ils battus dans une vallée, ils disent que leur dieu est le dieu des montagnes, et qu’il n’est pas le dieu des vallées ; et ch. ier des Juges, v. 19, qu’il n’a pu vaincre en rase campagne, parce que les ennemis avaient des chariots de guerre. Quelle pitié ! des chars de guerre dans le pays